C’est un lieu qui paraît hors du temps. Tous les milieux sociaux et les générations s’y mélangent, en parfaite harmonie avec la nature qui les entoure. En plein cœur du New Jersey, une piscine naturelle est le théâtre onirique dans lequel Whitney Hayes nous guide, entre méditation, rencontres et amusement.
Durant l’été 2022, la photographe Whitney Hayes travaille à la piscine naturelle des Highlands à Ringwood, dans le New Jersey. Elle y brossera le tableau magique d’un espace incongru, sorte d’oasis au milieu de la forêt. Mais avant d’en arriver là, la photographe américaine originaire de Baltimore a connu un parcours atypique. Aujourd’hui photographe de mode et de portrait, elle s’embarque professionnellement dans le huitième art sur le tard, en 2012, après avoir élevé sa famille dans le New Jersey où elle habite depuis près de vingt ans. Durant les quatre années précédentes, l’artiste était aussi l’aidante de sa propre mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Après la mort de cette dernière, brutalement diagnostiquée d’un cancer, Whitney Hayes dispose d’un temps qu’elle n’a jamais eu : celui de créer. « Être dehors et avoir la distraction de prendre des photos était le remède parfait pour mon chagrin, car je n’étais pas préparée à cela. J’ai commencé à beaucoup marcher et à photographier les bois près de chez moi », confie la photographe.
Après l’achat d’un nouvel iPhone et sur les conseils de sa fille adolescente, elle se lance sur Instagram et commence à poster : « La communauté amatrice de la plateforme était petite, à l’époque, et très axée sur la photographie. Un cadre de la styliste Donna Karan m’a engagée pour travailler sur une campagne grâce à mon compte, ce qui a conduit à d’autres travaux de mode et de portrait », précise-t-elle. Depuis, Whitney Hayes collabore avec Nike, VSCO, Vogue online et bien d’autres. Photographe passionnée, elle poursuit aussi des projets plus intimes et se dit avant tout guidée par sa propre humeur, « à la recherche d’émotions dans un paysage de déconnexion ».
L’arbre qui cache la piscine
« Mon mari et moi avons récemment acheté une maison à Wyckoff, dans le New Jersey, et la Highlands Natural Pool est toute proche. Je suis membre de la piscine, et je m’émerveille souvent de son caractère pittoresque »,
raconte Whitney Hayes. De cette fascination, l’artiste donne naissance à une série touchante, intitulée Solemn August. Cette piscine naturelle et accueillante, où bambins, jeunes adultes et septuagénaires se détendent à l’unisson, fut creusée en 1935 dans le flanc d’une colline. Dans ce lieu communautaire à but non-lucratif, des êtres de tous horizons se croisent au détour d’un plongeon. Des portraits doux aux tons bleutés capturent une variété d’émotions, retranscrivant l’admiration portée par Whitney Hayes à ce petit coin de paradis, et aux membres de la communauté qui le préserve.
Outre la mixité sociale et générationnelle, ce sujet évoque aussi la biodiversité et le respect de l’environnement. Car la piscine, située en pleine nature et se confondant avec elle, n’utilise aucun produit chimique : « j’ai toujours l’impression de rêver, car c’est un endroit tellement inattendu et intact, qui m’inspire énormément. La nature regorge de serpents, de chutes d’eau, de rochers, de plantes, de papillons et de grenouilles », ajoute la photographe. Bon nombre des membres bénévoles qui entretiennent les lieux, aujourd’hui âgé·es de 60 à 70 ans, sont membres depuis leur enfance : « beaucoup de gens parlent de l’environnement et de sa préservation, mais ce petit groupe de bénévoles méconnus se consacre activement à faire sa part pour aider cette cause », soutient-elle. Hors du temps et du monde contemporain bétonné, les lieux sont capturés par Whitney Hayes avec bienveillance, sur une pellicule moyen format : « J’avais l’impression que cette pellicule convoquait parfaitement l’atmosphère et l’ambiance de la piscine. Cette piscine, elle-même rétroactive, devait être commémorée d’une manière anachronique », conclut-elle.
© Whitney Hayes