En février, le Prix HSBC récompensait Louise Honée, une artiste diplômée en histoire de l’art spécialisée dans la photographie documentaire et le portrait, pour son projet We Love Where We Live. Un ouvrage doublé d’une exposition itinérante présentant une communauté dont les enfants ne peuvent qu’espérer des jours meilleurs.
« En 2017, alors que Trump venait d’être élu, j’ai visionné un documentaire sur le comté de McDowell, en Virginie-Occidentale, au cœur des Appalaches. J’ai découvert un territoire complètement décimé, abandonné, où 36 % des résidents vivent sous le seuil de pauvreté. Dans cette région pro-Trump, la majorité des enfants vivent seuls, sans parents. Ces derniers ayant quitté la ville pour essayer de trouver du travail ailleurs », annonce Louise Honée, une photographe néerlandaise spécialisée dans le documentaire et le portrait. Comment la désindustrialisation impacte-t-elle la vie des individus ? La vie économique, sociale et familiale n’est-elle pas liée à l’activité industrielle ? Que se passe-t-il en cas de déclin ?
« Parmi les douze finalistes portant un regard sur le monde tel qu’il est, tel qu’il va – ou ne va pas –, le dossier de Louise est rapidement sorti du lot, déclare Fannie Escoulen, conseillère artistique de l’édition HSBC 2020, Louise Honée a été capable de porter un regard sur l’enfance, alors même que cette thématique fait partie intégrante de sa vie professionnelle depuis un moment déjà. Elle a réussi à se renouveler, à proposer un nouveau regard, tendre, non intrusif, ni voyeuriste ». L’attrait de Louise Honée pour la question de la jeunesse et de l’enfance lui est venu naturellement alors qu’elle terminait ses études à l’Académie de photographie d’Amsterdam. « Ma vie familiale a d’ailleurs constitué mon premier sujet documentaire », se souvient l’artiste, mère de quatre enfants. Depuis, elle ne cesse de témoigner de l’espoir indestructible de la jeunesse, et de capturer cette émotion fragile dans toutes sortes de circonstances. Dernier chapitre consacré à l’enfance, son projet primé par le prix HSBC, We Love Where We Live, s’inscrit dans une œuvre au long cours.
Impossible de rêver
Dans le comté de McDowell, les caravanes et les roulottes remplacent les maisons vides, et quelques magasins d’alimentation et fastfoods rassemblent les derniers habitants. Il lui aura fallu quatre séjours pour saisir la complexité de ce territoire frappé de plein fouet par la désindustrialisation – la ville dépendait autrefois de l’exploitation du charbon. « Installée dans le seul et unique hôtel de la ville, je me suis liée d’amitié avec le propriétaire, 85 ans, dont la femme s’appelait Louise », raconte l’artiste qui s’est immergée, à des milliers kilomètres de sa famille, dans un espace fantomatique. Un point d’ancrage indispensable pour aller à la rencontre d’une communauté avec laquelle elle a construit des liens profonds. « Le climat de confiance avec les enfants s’est installé progressivement. Au départ, je dessinais avec eux. Ensuite, je les ai accompagnés dans leur quotidien. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à les photographier ». Pauvreté, abandon, insécurité, obésité… Les enfants, élevés par leurs grands-parents ou oncles et tantes, évoluent dans un monde étrange qui ne leur évoque plus rien, et où il leur est impossible de rêver. « Un jour, j’ai demandé à une jeune fille d’imaginer sa journée idéale. Et même avec tout l’argent du monde, elle choisirait d’aller manger une glace au MacDonald avec ses ami(e)s – le fast-food étant situé, en voiture, à 40 minutes de trajet. » La liste des difficultés rencontrées par la communauté existe bel et bien, mais elles n’ont pas retenu l’attention de la photographe. « Qui suis-je pour juger et critiquer leur mode de vie ? J’ai préféré me concentrer sur ce qui les relie, les retient », précise-t-elle. Tel un fil rouge, l’artiste crée des alternances entre les enfants, leur environnement, et leurs animaux de compagnie. Ses noirs et blancs laissent entrevoir une juste distance. Elle ne va jamais trop loin ni trop près. « On sent la tendresse de Louise envers eux, et la confiance des enfants envers la photographe », analyse Fannie Escoulen. Le paysage, au demeurant inquiétant, devient alors protecteur, « comme une couverture invisible ». Une autre contradiction.
Utopie ou dystopie ? Difficile d’éluder la question en parcourant ces paysages désolés, peuplés d’enfants délaissés. Est-ce à cela que pourrait ressembler notre société de demain ? Un monde où la nature aurait repris ses droits et où les enfants, forcés de survivre, seraient livrés à eux-mêmes ? Faut-il y voir un avertissement ? Fannie Escoulen se veut rassurante : « C’est un tableau qui peut certes paraître assez noir, car il renvoie à un monde, ou du moins à une Amérique au bord de l’apoplexie, mais Louise Honée parvient à cueillir ce qu’il reste de l’humanité : un espoir, incarné par les enfants. C’est le vide et en même temps le plein : fraternité, légèreté et beaucoup d’amour émanent de ces images.». Un regard bienveillant témoignant d’un sentiment d’appartenance très fort. En témoigne un panneau situé à la sortie de la ville : We Love Where We Live.
Un projet visible à la galerie Esther Wœrdehoff jusqu’au 7 octobre, et à retrouver à partir du 21 novembre à la Cité musicale, galerie d’exposition de l’Arsenal, à Metz.
We Love Where We Live, Atelier Exb, 108 p, 30 €.
© Louise Honée