Fisheye Magazine : Quelle est l’histoire de cette série 1 029 398 cigarettes ?
James Friedman
: Cette série montre la vie et la mort de ma mère à travers mes photographies prises depuis mes 9 ans. Le projet révèle la transformation d’une femme originale et charismatique en une femme souffrante, au physique ravagé par 47 ans de tabagisme. Quand ma mère est tombée malade, je voulais faire des photographies qui alertaient les jeunes femmes sur les dangers du tabagisme. Au lieu de cela, 1 029 398 cigarettes est devenue un voyage pour une mère et un fils, un voyage qui a permis de nous connecter et de découvrir à quel point nous étions essentiels.
Comment en es-tu arrivé à ce chiffre, 1 029 398 ?
Ma mère a commencé à fumer à l’âge de onze ans et fumait en moyenne 60 cigarettes par jour. D’après mes calculs précis, elle a fumé environ 1 029 398.
Comment définirais-tu ton approche photographique ?
Mon approche de la photographie est intuitive et instinctive. En général, mon travail est autobiographique : pour la plupart de mes projets, je pratique une photographie documentaire et personnelle. Les photos de ma mère et d’autres membres de ma famille ont toujours été au cœur de mon travail. Avec la photographie, j’ai voulu comprendre ma famille.
Quelles étaient tes relations avec Dorothy, ta mère ?
Enfant je considérais mes parents comme de sombres présences. J’avais une relation difficile avec ma mère. Elle était exceptionnellement intelligente, créative, douée, très intuitive. Mais, aussi, traumatisée par une enfance difficile. Cependant, nous avions en commun la même passion pour l’art. Il y avait une connexion entre nous.
Comment a-t-elle accueilli ce projet ?
Au départ, elle était réticente à l’idée que je la photographie. C’était une femme timide. Elle a pourtant accepté la plupart de mes clichés et a beaucoup aimé participer au projet. Et puis, elle a finalement été transformée : elle est devenue une personne très engagée. Elle était généreuse en me donnant de son temps, en s’habillant avec ses vêtements splendides et en posant selon mes directions ! Elle n’a d’ailleurs jamais demandé à voir les photographies qui résultaient de nos séances.
Comment votre relation mère-fils a-t-elle nourrie cette expérience photographique ?
Ma mère a toujours été très favorable à ce projet. Elle m’a encouragé. C’était une modèle et une collaboratrice extrêmement généreuse. Le temps que nous avons passé ensemble nous a aidé à créer un lien particulier. Ces images ont créé une interaction qui n’existait pas dans ma famille où la communication était compliquée. Celles que j’ai prises lors des dernières années étaient, je pense, son dernier cadeau. Elle a accepté de me laisser la photographier dans des circonstances parfois désagréables, durant les soins et des moments de souffrance. Des moments sans flatterie ni vanité. Certaines des images finales sont douloureuses à regarder, pour les autres comme pour moi – surtout pour moi. Jusqu’à la fin, elle a toujours été consciente que devant l’objectif, elle se révélait de manière vulnérable. Quand elle était malade, il était parfois émotionnellement pénible de prendre les photos.
Ce travail a-t-il fait émerger des nouveautés dans ta pratique photographique ou dans vos relations mère-fils ?
Ces photographies sont plus profondes et intimes que celles que nous avons faites ensemble avant sa maladie. C’est aussi durant les derniers mois que ma mère et moi avons commencé à avoir de l’affection physique l’un pour l’autre. Je ne me souviens d’aucun baiser – ou d’aucune autre manifestation d’affection – entre les membres de notre famille pendant mon enfance. Ma mère et moi avons finalement commencé à échanger des marques de tendresses quand elle approchait la fin de sa vie. Nous avions pris l’habitude d’échanger un baiser quand je quittais sa maison de repos ou sa chambre d’hôpital.
Finalement, tu as peu photographié ta maman en train de fumer, pourquoi ?
Quand j’ai travaillé sur le projet, depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, le tabagisme de ma maman n’était pas le sujet central. Ce qui m’importait c’était de passer du temps avec elle. De son côté, elle me conseillait sur ma carrière de photographe. Les photographies de ma mère ne portaient pas sur le fait de fumer – bien qu’elle avait toujours une cigarette à portée de main et ce, jusqu’à ce qu’on lui diagnostique l’emphysème (maladie pulmonaire) et qu’elle a été forcée de s’arrêter. Près de la fin de sa vie, même si elle était terrifiée à l’idée d’avoir fumé pendant 47 ans, elle me disait toujours: « Je me grillerais bien une cigarette. »
Peux-tu décrire cette série en trois mots ?
Force, regret et bravoure.
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Découvrez l’intégralité du travail de James Friedman sur son site Internet : www.jamesfriedmanphotographer.com