Sculpteur, vidéaste, performeur et poète… L’artiste plasticien Julien Creuzet conjugue les médiums pour explorer les imaginaires de la diaspora africaine. Il revient ici sur sa série Ogun et Mars, actuellement exposé au Grand Palais Éphémère à l’occasion du Palais augmenté. Entretien.
Fisheye : Quels que soient les médiums que tu convoques, l’image reste au cœur de tes projets. Que représente-t-elle pour toi ?
Julien Creuzet : L’image, c’est une porte ou une fenêtre qui raconte une histoire. C’est une autre manière de montrer, de représenter ou de manipuler le monde. Ce qui devient intéressant, avec un tel médium, c’est toute la sémiologie qui en découle, c’est commencer à établir une certaine narration.
Comment l’idée d’Ogun et Mars t’est-elle venue ?
J’ai commencé cette série il y a quelques années. Ogun et Mars s’inscrit dans la continuité de mes trois derniers projets. Le premier, Ogun, est à la fois un film et une installation qui parlent d’une divinité vaudou de la guerre. Dans une autre cosmogonie, Mars, qui est au cœur du second volet, est également une divinité belliqueuse. J’aimais bien l’idée d’associer ou de provoquer la rencontre de deux cultures ou mythologies qui sont aux antipodes l’une de l’autre. L’une est occidentale, l’autre est afrodiasporique.
Cet héritage permet alors de parler de discontinuité ou bien de continuité avec des manques, directement liés à l’histoire coloniale et à ce qu’elle laisse dans l’ADN, dans la mémoire des corps, des gestes, des mots, des sons, des mélodies… C’est une quête infinie que de tenter de se connaître davantage et d’apprivoiser ses parts d’ombre pour mieux exister dans notre contexte actuel en tant que personne noire vivant à Paris.
Quelles histoires racontes-tu dans ce nouveau chapitre ?
Dans Ogun et Mars, les divinités se confrontent et se mettent à dialoguer. Une collection de soldats de plomb montre des armées indigènes des empires coloniaux de la fin du 19e siècle/début du 20e siècle. On y trouve des tirailleurs sénégalais ou éthiopiens, des Zouaves, des Zoulous… Ils planent comme un essaim d’abeilles ou d’oiseaux, regroupés comme une constellation ou un banc de poissons… J’aimais bien cette idée de quelque chose qui flotte, et que l’on soit à l’intérieur de cet immense et intense mouvement. Il y a également deux autres personnages. L’un essaye de définir son héritage panafricain à travers un certain nombre d’ouvrages importants pour les cultures afrodiasporiques. Ceux-ci passent par des langues francophones, anglophones, lusophones et hispanophones. L’autre tente de résister à sa façon en répétant une danse bèlè qui est une tradition martiniquaise, issue du contexte esclavagiste.
J’aimais aussi le fait que le Grand Palais Éphémère soit éphémère, et surtout qu’il se trouve sur le Champ-de-Mars qui fait référence à une histoire des armées, des conflits, de la domination… C’est pourquoi j’ai joué du contexte, de la géolocalisation, et que j’ai souhaité parler de Mars. C’est important d’ouvrir les imaginaires si on veut évoquer les notions de pouvoir et remettre les éléments en perspective dans un récit plus vaste.
Peut-on voir une forme de syncrétisme dans ce mélange des influences ?
Après deux ans de pandémie, beaucoup de personnes se sont posé un certain nombre de questions. De nouveaux termes sont arrivés dans notre langue comme la résilience, le lâcher-prise… Beaucoup ont décidé de retrouver une relation saine avec leur corps, leur tête. De recréer un lien entre les deux, notamment en se mettant à la méditation, au yoga, ou ce genre de choses. Est-ce que ces personnes autour de nous sont au courant qu’elles pratiquent une forme de syncrétisme ou de réappropriation culturelle ? Je ne sais pas, mais je pose des questions. J’essaye de partager un imaginaire. Selon moi, la fonction d’une œuvre d’art est de donner matière à avancer, à rêver.
À qui s’adresse ce projet ?
Ce travail s’adresse à tous ceux qui veulent se laisser pénétrer par une œuvre et ouvrir leur imaginaire pour commencer – ou recommencer – à rêver, à réfléchir aux questions sous-jacentes que je pose. Il s’ancre parfaitement dans notre monde. J’essaye de mettre en place une continuité et, plus largement, un projet de vie. C’est une façon de poursuivre son chemin et de s’enrichir.
© Julien Creuzet