Dans Behind the Mask, Enzo Lefort, escrimeur membre de l’équipe de France de fleuret, a mis sa casquette de photographe pour rendre hommage à ses coéquipiers et coéquipières. Qui est l’artiste qui se cache derrière l’athlète ? Entretien.
Fisheye : Peux-tu te présenter ?
Enzo Lefort : Je m’appelle Enzo Lefort, je suis un escrimeur membre de l’équipe de France de fleuret. Je suis champion olympique, du monde et quatre fois d’Europe par équipe, ainsi que champion du monde individuel.
Je suis également photographe, auteur de deux livres photos : Behind the Mask et Hors Piste.
Quelle est la première photo qui t’a marqué ?
Une photo de mon père dans les années 1980. C’était un portrait de lui étudiant, en noir et blanc.
Et te rappelles-tu de ta première photo à toi ?
Une photo de mes copains d’escrime à l’hôtel lorsque j’avais 8 ans lors d’une compétition. C’était mon premier voyage à Paris, et mes parents m’avaient donné un appareil jetable pour l’occasion.
Le 8e art est arrivé dans ta vie en 2014, tu nous racontes ?
J’ai acheté mon premier appareil photo numérique en 2014. Grâce à ma pratique sportive, j’ai la chance de souvent partir à l’étranger, et je trouvais ça dommage de ne conserver de ses déplacements que des souvenirs enfouis dans mon téléphone. Puis, en 2018, j’ai acheté mon premier boîtier argentique. Cette pratique me correspond plus. Le fait d’être limité par le nombre de poses présentes sur la pellicule me pousse à mieux composer. Chaque photo compte.
Comment définirais-tu ton style ?
J’aime sublimer des scènes banales du quotidien. Je me laisse surprendre par ce qui m’entoure et j’essaie de le capter d’une façon inattendue. Je dirais que je développe une approche spontanée.
Tes sujets favoris ?
L’architecture, la mode, et le sport.
Tes photographes de référence ?
Martin Parr, Ren Hang ou encore Julien Soulier.
La photo, et l’escrime ont-elles des aptitudes communes selon toi ?
Dans ces deux pratiques, il est nécessaire de capter le bon moment. En escrime, il faut l’attendre pour déclencher son attaque afin d’arriver à surprendre son adversaire. En photo, on en a besoin pour capter une scène, une lumière, un sujet. Il faut donc un esprit de décision et un œil agile.
D’ailleurs, comment concilies-tu ta vie de photographe et de sportif de haut niveau ?
Mon emploi du temps de sportif de haut niveau n’est pas très flexible. Je m’entraîne deux fois par jour, et je fais de la photographie sur mon temps libre. Ça n’est pas toujours facile, car je dois gérer les différents projets sur mes jours de repos ou sur mes moments libres, entre deux entraînements. Finalement, c’est quelque chose qui me correspond : ne jamais tomber dans une routine, et faire des choses diamétralement opposées.
Porter le coup final ou capturer l’instant décisif… Qu’est-ce qui est le plus compliqué pour toi ?
Porter le coup final. En escrime, je suis face à un adversaire qui n’est pas coopératif, lui aussi essaie de me toucher ! Il y a plus de pression, plus de tension. En photo, quand on photographie un sujet c’est plutôt une collaboration. Et quand il s’agit de scènes non posées, il suffit juste d’être alerte !
Qu’est-ce une bonne photo selon toi ?
Aujourd’hui, notre œil est tout le temps sollicité, notamment à travers les réseaux sociaux. Selon moi, une bonne photo est une image qui pousse celui ou celle qui la regarde à s’y attarder.
Et une bonne photo d’escrime ?
Une photo qui parvient à communiquer l’intensité de ce sport tout en rendant justice à son esthétisme.
Quelle est la genèse de Behind the mask – projet pour lequel tu as photographié des membres de l’équipe de France d’escrime ?
Ce projet est né peu après le confinement de 2020, et en résonance avec le mouvement Black Lives Matter en France. Je n’ai pas apprécié la façon dont il a été transposé ici : ce mouvement qui se voulait fédérateur s’est retrouvé à diviser encore plus notre société. En prenant un peu de recul, je me suis interrogé : dans l’imaginaire collectif, ma discipline est un sport réservé à une certaine élite sociale. Je me suis demandé si les discriminations et problématiques sociétales se retrouvaient dans ma discipline, et j’ai été heureux de pouvoir dire que ça n’était pas le cas.
Il existe, au sein des équipes de France d’escrime, une diversité dont je suis fier, et c’est le vivre ensemble qui prévaut indépendamment des origines. Partant de ce constat, je me suis attelé à photographier une vingtaine de mes coéquipiers indépendamment de leurs âges, sexes, origines sociales, origines géographiques, etc. Il en est ressorti cette série Behind the Mask qui rend hommage à la diversité existant au sein des équipes de France d’escrime.
Hommage à tes coéquipiers, réflexion sur les valeurs associées à ce sport… Qu’as-tu choisi de questionner à travers ce projet ?
À travers ce projet, je me suis penché sur l’accessibilité de l’escrime. Si on observe déjà des progrès, il y a encore beaucoup a faire pour casser l’image de ce sport jugé « inaccessible ».
Tu abordes aussi la notion de la sous-représentation des femmes dans ce domaine, où en sommes-nous ?
On observe aussi beaucoup de progrès. Les femmes sont équitablement représentées dans toutes les compétitions, ce qui n’était pas le cas jusqu’en 2004, notamment aux Jeux olympiques.
À qui s’adresse cet ouvrage ?
Au fan d’escrime et de sport en général et, je l’espère, à tous les enfants qui souhaitent faire de l’escrime mais qui ont toujours pensé ce sport inaccessible. Ce livre est destiné à leur faire comprendre que ce n’est pas le cas. Behind the mask s’adresse à l’amateur de photo aussi.
Un dernier mot ?
Je suis actuellement en train de finaliser un ouvrage avec Fisheye. Il rassemblera les photos que j’ai prises l’été dernier pendant les Jeux olympiques de Tokyo.
© Enzo Lefort