« Ils veulent devenir les acteurs du changement, sans aucune forme de délégation »

09 avril 2020   •  
Écrit par Anaïs Viand
« Ils veulent devenir les acteurs du changement, sans aucune forme de délégation »
Un refus délibéré, public, concerté et non violent d’une loi, d’un règlement, d’une organisation ou d’un pouvoir par un groupe de citoyens. La désobéissance civile apparaît comme une nouvelle façon de s’engager, et de témoigner ses valeurs éthiques et politiques. Entrevue avec l’un des photographes français spécialistes, Philippe Labrosse.

Fisheye : Qui es-tu ? Peux-tu te définir en quelques mots ?

Philippe Labrosse : J’ai une formation initiale d’ingénieur. Après quelques années dans l’ingénierie, j’ai travaillé dans l’économie sociale. Et puis en 2017, j’ai sauté le pas, je me suis lancé dans la photographie. J’ai notamment suivi la formation en photographie documentaire dispensée par Julien Daniel et Guillaume Herbaut, à l’ École des métiers de l’information (EMI-CFD).
Je me considère aujourd’hui comme un photographe documentaire.

Te considères-tu comme un photographe engagé ?

Je ne saurais dire si je suis un photographe engagé, mais il est certain que le choix de mes sujets reflète mes intérêts. Quand je décide de suivre des militants pour le climat, je partage leurs revendications.

Quand et pourquoi as-tu choisi d’étudier la désobéissance civile ?

J’avais déjà commencé à travailler sur la thématique de la désobéissance civile pendant ma formation, et j’ai décidé de poursuivre ensuite. J’avais le sentiment qu’il se passait quelque chose. Et c’est arrivé en 2019 : les actions de désobéissance civile – notamment en lien avec le climat – se sont multipliées. Extinction Rébellion, ANV COP21 par exemple…

© Philippe Labrosse

Quelle a été ta première photo sur le sujet ?

Début mars 2018, en région parisienne, j’ai pu photographier durant un week-end entier une formation de clowns activistes. J’ai rencontré des femmes et des hommes venant de différents pays européens.

D’ailleurs, quel est le profil de ces acteurs ?

Les acteurs de la désobéissance civile ont des profils assez variés. Beaucoup d’entre eux ont fait des études supérieures et sont bien insérés dans la société. Ils sont plutôt jeunes : ils ont en moyenne moins de 40 ans. Et tous sont réunis par une urgence à vouloir changer les choses sans avoir recours aux partis politiques traditionnels ni aux syndicats. Ils veulent devenir les acteurs du changement, sans aucune forme de délégation.

Comment procèdes-tu pour obtenir les renseignements dont tu as besoin pour couvrir leur rassemblement ?

J’obtiens les informations via les réseaux sociaux. C’est là que les choses s’organisent. Je contacte ensuite les différents organisateurs. Et quand tout cela se passe bien, on m’informe des points de rendez-vous – parfois au dernier moment.

Quelle est l’action que tu as photographiée et qui t’a particulièrement marquée ?

En avril 2019, j’ai photographié une action qui s’appelait Bloquons la république des pollueurs et qui a rassemblé environ 2 000 militants à la Défense, à Paris. L’objectif était d’occuper le siège de trois entreprises considérées soit comme étant très polluantes, soit comme ayant un rôle dans l’extraction des énergies fossiles. Il s’agit de la plus grosse action organisée en France à laquelle j’ai assisté. L’organisation était très aboutie : chacun connaissait son rôle. Des affiches de toutes les tailles avaient même été imprimées pour recouvrir les bâtiments de la Défense.

© Philippe Labrosse

La dernière action que tu as photographiée s’est déroulée en Allemagne, à la mine de charbon de Garzweiler, de quoi s’agissait-il ?

Du 19 au 24 juin 2019, près de 6 000 activistes écologistes venus de toute l’Europe se sont rassemblés près de la mine de charbon de Garzweiler en Allemagne pour participer à la plus grande action de désobéissance civile de masse européenne : Ende Gelaende. Pendant plusieurs jours, ces militants non violents ont paralysé les infrastructures liées au charbon (mines de lignite, centrales à charbon…) pour dénoncer l’impact de l’exploitation du charbon sur l’environnement. Leur action a permis de bloquer l’alimentation en charbon de la centrale de Neurath pendant plus de 45 heures et de stopper l’exploitation de la mine de Garzweiler pendant plusieurs jours.

Comment as-tu vécu cette expérience ?

J’ai aimé photographier ce rassemblement. Pendant six jours, j’ai été immergé avec les militants. J’ai ainsi pu nouer des contacts tout en partageant leur quotidien. Pendant 6 jours, on a beaucoup discuté, c’était très enrichissant. Au début, les gens se méfiaient, et puis, j’ai finit par être accepté.

Tu as photographié plusieurs temps forts de la désobéissance civile, depuis les temps de formation jusqu’aux actions sur le terrain, quelles sont les « étapes » que tu souhaiterais photographier davantage ?

Des moments « hors action » me manquent. Je pense par exemple aux préparatifs en amont, et à postériori les débriefings, les échanges avec les avocats, ou encore les gardes à vue…

En tant que photographe, quel genre de difficultés as-tu rencontrées ?

C’est toujours compliqué de gagner la confiance des militants, et d’obtenir les infos sur les lieux où se tiendront les actions… Sur le terrain, beaucoup de militants ne veulent pas être photographiés et se méfient. En général, ils m’assimilaient aux médias dominants. Et lorsque je leur disais que j’étais indépendant et que mes images n’allaient pas forcément faire l’objet de publication à court terme, ils ne comprenaient pas…

© Philippe Labrosse

Y’a-t-il une image dont tu es particulièrement fière que tu souhaiterais commenter ?

La photo des deux jeunes militants se trouvant au bord de la mine de charbon. Cette exploitation du charbon a beau être monstrueuse d’un point de vue écologique, il n’empêche qu’elle est très visuelle et que sa taille impressionne.
Je ne sais s’il s’agissait de leur première mine de charbon vue de près, mais je suis sûr d’une chose : ils sont restés un moment à la regarder, comme fascinés.
C’est une image que je considère comme importante.

As-tu tiré des apprentissages de ce projet ?

Ma pratique de la photographie évolue en permanence, elle s’affine. Je sais davantage vers quoi je veux aller, je prends plus de distance et de recul par rapport à ce que je photographie. Et puis j’ai appris qu’il était important de suivre les choses sur un temps long afin de s’éloigner de l’image typée “news” et commencer à avoir une réflexion sur la forme, tout en réfléchissant sur le fond.

© Philippe Labrosse
© Philippe Labrosse

© Philippe Labrosse

© Philippe Labrosse

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