« Je capture l’expérience spirituelle de l’homme, face à la nature »

09 juin 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Je capture l’expérience spirituelle de l’homme, face à la nature »

Photographe californien, Sean Kobi Sandoval a déménagé aux Pays-Bas pour étudier l’art et la photographie. Là-bas, il découvre les vertus des baignades dans l’eau glacée. Dans Cold Water, il capture ses amis, nageant dans la mer du Nord. Un travail expérimental, qui souligne l’importance de notre connexion à la nature.

Fisheye : Tu nous racontes ton parcours photographique ?

Sean Kobi Sandoval : Lorsque j’avais 14 ans, j’ai découvert une caméra HD enfouie sous la neige, alors que j’étais en vacances en montagne. J’ai ensuite filmé mes amis lorsqu’ils faisaient du skate. Après quelques années, j’ai eu la chance de trouver un boîtier reflex qui avait été perdu, et je me suis réellement plongé dans la photographie.

En 2015, une de mes photos a été exposée au Musée Escher, aux Pays-Bas. J’ai accumulé cinq petits boulots en quelques mois pour pouvoir m’envoler pour l’Europe, visiter le musée, et découvrir la vie en dehors des États-Unis. J’ai beaucoup aimé cette aventure, et j’ai continué à voyager et à photographier. En 2017, j’ai été accepté à la Royal Academy of Art, qui, par pure coïncidence, se trouve à cinq minutes à pied du Musée Escher…

Qu’est-ce qui influence tes projets photographiques ?

La vie n’est pas parfaite, et l’authenticité se trouve dans la pureté de l’imperfection – il s’agit d’une pensée venue de la philosophie japonaise Wabi-sabi. Si les photos réussies documentent avec succès un moment précis, elles perdent toute spontanéité et émotion. L’intimité brute d’un instantané est, à mes yeux, plus vraie. Je préfère me concentrer sur l’ambiance d’un cliché plutôt que sur sa précision technique. J’aime également mieux utiliser l’argentique : il m’aide à m’ancrer dans le présent, loin des distractions numériques de notre société.

© Sean Kobi Sandoval

Comment est née ta série Cold Water ?

J’ai toujours voulu travailler autour de l’eau, et comme il s’agit d’un sujet très populaire, je ne savais pas comment le traiter. J’étais intéressé par ses vertus thérapeutiques. L’eau soigne, c’est notre source de vie. Souhaitant améliorer ma santé mentale, j’ai cherché comment l’eau pouvait m’aider à vivre mieux. C’est ainsi que j’ai découvert Wim Hof, surnommé The Iceman.

Qui est-il ?

C’est un « surhomme » qui nage dans des eaux glacées. Il avance que ces baignades le soignent mentalement et physiquement. Il a prouvé, sous supervision scientifique, qu’il était capable de contrôler son système nerveux autonome. Son système immunitaire et sa santé mentale ont aussi évolué. Le choc du froid nous aide à activer nos réactions les plus primitives, nos instincts humains naturels – ceux qui devraient normalement nous rendre plus forts. Ces derniers ont disparu, à cause de notre mode de vie sédentaire, mais réapparaissent durant les situations de survie. Si les animaux sauvages se blessent dans la nature, par exemple, leur corps prend le relai, et leur permet de guérir.

© Sean Kobi Sandoval

As-tu, toi aussi, essayé cette thérapie ?

Oui. Je voulais découvrir les capacités humaines que j’avais enfouies. À l’époque, j’habitais près de la mer du Nord. J’ai commencé à y nager trois fois par semaine, sans combinaison, en plein hiver, dans une eau à 9 degrés. Le choc du froid était euphorique, mon esprit se vidait complètement. Ma déprime hivernale habituelle – lorsque les Pays-Bas sont humides, froids et obscurs – avait presque disparu. Je n’ai jamais attrapé froid, et je me suis senti plus que jamais proche de la nature et de moi-même. J’ai donc proposé à des amis de tenter, eux aussi, l’expérience, et je les ai photographiés.

Comment t’y es-tu pris ?

Je voulais capturer l’eau avec originalité. J’ai acheté un appareil étanche, et durant mon premier shooting, l’eau de mer est entrée dedans. Il n’y avait pas de joint torique dans l’appareil pour empêcher l’eau de s’infiltrer. Toutes mes images étaient détruites. J’étais cependant curieux de voir de quelle manière l’eau avait altéré mes images, j’ai donc décidé de les développer. J’ai dû retirer la pellicule à main nu, dans ma chambre, avec les rideaux tirés, puis la cacher sous mes draps pour éviter que la lumière ne s’infiltre !

© Sean Kobi Sandoval

Le rendu t’a plu ?

Voir le résultat final a été une véritable surprise. J’étais persuadé que mes pellicules seraient irrécupérables, et j’ai pourtant été fasciné par le résultat. Une vague survolait ma première bande. L’eau me donnait un conseil : suivre le mouvement, quoi qu’il arrive. Un proverbe que l’on retrouve dans la philosophie chinoise taoïste, qui enseigne à ses disciples d’être comme l’eau. Je me suis procuré un autre boîtier et j’ai appris à développer moi-même des pellicules avec de l’eau de mer – en accueillant toujours avec plaisir les résultats.

En quoi le Taoïsme t’a-t-il influencé ?

Je me suis particulièrement immergé dans la philosophie de Wu-Wei durant ce projet. Au cœur de sa pensée ? L’eau, bien sûr. J’ai appris à accepter ce que la vie nous apporte, et à arrêter de lutter. À m’adapter aux différentes circonstances, tout comme l’eau s’adapte à chaque réceptacle : une tasse, comme une rivière. À suivre le cours de la rivière plutôt que de nager à contre-courant pour préserver son énergie et respecter son environnement. En quelques mots, le taoïsme encourage l’homme à trouver une certaine harmonie. Un équilibre qui nous permet d’être en paix avec nous-mêmes et d’aider les autres.

© Sean Kobi Sandoval

Cold Water se distingue par son format. Pourquoi l’avoir présenté ainsi ?

Les six images comprennent chacune six négatifs scannés ensemble. Le mouvement est important dans ce projet : on le retrouve dans les expressions des nageurs, plan par plan, et dans les dessins laissés par l’eau également. Chaque rouleau de pellicule est une nouvelle expérience. Tous ces facteurs m’ont permis de réaliser un travail assez abstrait. Si l’on zoome sur chaque image, on aperçoit de nombreux détails, des imperfections tracées par la mer. On découvre l’eau elle-même, coulant sur l’image, les traces de sel qui ont séché, ou encore des tâches humides. Aussi sombres que colorés, les visuels capturent l’expérience spirituelle de l’homme, face à la nature.

Cette relation est-elle importante pour toi ?

Oui. Notre monde souffre beaucoup. L’ère anthropocène engendre énormément de problèmes. Je m’interroge beaucoup : comment résoudre ces problèmes, si l’humain est fautif ? Nous reconnecter à notre Terre nous aidera-t-il à mener une vie plus harmonieuse ? Nous sommes des créatures venues de la nature, nous devrions donc, par conséquent, être plus en lien avec elle – comme beaucoup de tribus indigènes qui entretiennent une profonde connexion spirituelle avec notre monde. Si nous suivions leur exemple, peut-être que les troubles mentaux disparaîtraient, et que la planète survivrait. Renouer avec la nature revient à renouer avec notre statut d’être humain.

© Sean Kobi Sandoval

 

© Sean Kobi Sandoval

© Sean Kobi Sandoval

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