« Le photographe est un turfiste »

14 février 2018   •  
Écrit par Anaïs Viand
« Le photographe est un turfiste »

Michel Sadowski n’est ni parieur ni passionné de courses hippiques et pourtant, depuis un an, il photographie les turfistes. En plus d’être intrigué par les gens qui fréquentent les hippodromes, il a développé une réelle fascination pour les lieux et les rituels. Il nous dévoile, aujourd’hui, sa série Les Turfistes. Entretien.

Fisheye : Peux-tu nous parler de toi et de ton rapport à la photo ?

Michel Sadowski : J’habite depuis une dizaine d’années à Bruxelles et je m’intéresse au médium depuis environ huit ans. J’ai commencé par faire un stage d’initiation à la photo à la fin du lycée au cours duquel j’ai appris la mise au point, la fameuse technique qui permet de réaliser un avant-plan net et un arrière-plan flou. Un grand moment. J’ai poursuivi mon apprentissage en intégrant une école de photos. Depuis, la quasi-totalité de mes déplacements (itinéraires et destinations) est motivée par la possibilité de trouver quelqu’un ou quelque chose à photographier. C’est une excuse pour aller dans des endroits inconnus. C’est ainsi que je me suis retrouvé à fréquenter les hippodromes.

Raconte-nous ta rencontre avec le milieu hippique

Il y a quelques années, des amis m’ont emmené à l’hippodrome de Malbrande en Vendée. Ce fut mon premier contact direct avec les courses. J’ai immédiatement accroché avec l’ambiance des lieux. J’avais toujours imaginé les hippodromes comme étant des espaces hautement photogéniques, je n’ai pas été déçu. Quand je m’y suis rendu, j’avais en tête le film The Killing de Stanley Kubrick ou encore une image de Robert Capa, à l’hippodrome de Longchamp, représentant un groupe de spectateurs regardant au loin avec des jumelles.

Quelle est ta définition du turfiste ?

Le mot turfiste désigne un habitué des champs de courses, un parieur. Le turfiste est un observateur, un patient et parfois, un chanceux. Miser sur le bon cheval implique de faire un choix, de prendre un risque. Tout l’enjeu est de mettre en œuvre un ensemble de connaissances acquises avec l’expérience pour limiter le risque au maximum, sans jamais être sûr du résultat. Cette incertitude est le moteur du parieur. En un sens, le photographe est un turfiste.

Qu’est-ce qui te plaît chez lui ?

Je vois en ces gens des personnages tout droit sortis d’un film de Jacques Tati où se mêlent savamment humour et douce absurdité, le tout avec distance et insensibilité. Cette distance permet d’observer des comportements humains et des coutumes sociales. C’est exactement cela que je cherche à montrer dans mes images. Les personnes que je photographie sont des personnages. J’aime regarder les gens qui regardent et j’ai découvert que les hippodromes étaient un lieu idéal pour s’adonner à cette activité. Que ce soit les spectateurs, les juges ou les entraîneurs, tout le monde est occupé à observer avec attention les préparatifs et le déroulement de la course avec des jumelles, des caméras, des écrans, etc.

Comment va évoluer ton projet ?

Je suis encore très attaché à l’idée de l’image « prise sur le vif », néanmoins, avec cette série j’ai l’occasion de parler avec les gens pour comprendre davantage ce milieu et dépasser le statut de spectateur. Cette dernière année, je me suis concentré sur les hippodromes belges de Ostende, Waregem, Mons, Kuurne et Tongres et celui de Varsovie (Tor Słuzewiec). Cette année, je compte “m’exporter” en France et en Allemagne. J’ai dernièrement assisté au Grand Prix d’Amérique, à l’hippodrome de Vincennes. L’ambiance était tout à fait différente. J’ai envie de voir ces nouvelles images dans un livre.

Qu’as-tu appris en travaillant sur ce projet ?

Ce que je découvre avec cette série c’est la capacité qu’a la photographie à mentir, ou du moins à fortement orienter le regard et l’idée qu’on se fait des choses. L’impression globale qui ressort de mes images est différente de celle véhiculée par chaque hippodrome. Finalement, ma propre expérience des lieux ne correspond que très peu à l’image que j’en donne. Il faut se méfier des images.

En parlant d’images, y’en a-t-il une que tu aimes particulièrement ?

Une de mes images préférées est celle des deux jockeys qui attendent leurs chevaux. Un regarde quelque chose qu’on ne voit pas tandis que l’autre semble “déconnecté”. Tout cela sous l’œil du cameraman. J’aime l’idée de pouvoir scruter les coulisses de la fabrication des images.

Trois mots pour finir ?

Sulky, pouliche, casaque.

© Michel Sadowski

Les Turfistes - Michel Sadowski 13

© Michel Sadowski© Michel Sadowski© Michel Sadowski© Michel Sadowski

© Michel Sadowski

Explorez
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
23 avril 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les coups de cœur #542 : Roxane Cassehgari et Kinu Kamura
Me Myself and I © Kinu Kamura
Les coups de cœur #542 : Roxane Cassehgari et Kinu Kamura
Roxane Cassehgari et Kinu Kamura, nos coups de cœur de la semaine, explorent leurs identités multiples et les mémoires de leurs familles....
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
© Sander Coers
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
C’est l’heure du récap ! De nombreux rendez-vous ont rythmé les publications de cette semaine. Les coups de cœur du mois, un nouvel...
04 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les Rencontres de Niort : la nuit en ébullition des artistes en résidence
Les ballades du corail © Joan Alvado
Les Rencontres de Niort : la nuit en ébullition des artistes en résidence
Depuis 1994, Les Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort poursuivent leur volonté d’être un incubateur de création...
03 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Simen Lambrecht donne vie à la mort
© Simen Lambrecht
Simen Lambrecht donne vie à la mort
À travers un livre en devenir, le photographe flamand Simen Lambrecht, désormais installé à Berlin, fait perdurer la mémoire de sa...
02 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas