Quand les femmes au foyer s’en mêlent

21 décembre 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Quand les femmes au foyer s’en mêlent

La Monnaie de Paris rouvre après six ans de travaux et accueille l’exposition Women House, qui pose la question de la rencontre de deux notions : le genre (le féminin) et un espace (le domestique). Pour y répondre, 39 artistes femmes proposent leur point de vue en photo, vidéo, peinture, sculpture… La maison, refuge, prison, ou espace de création ? Cet article fait partie de notre dernier numéro.

En 1929, Virginia Woolf encourageait les femmes à trouver une chambre qu’elles puissent « fermer à clé sans être dérangées » dans son essai Une chambre à soi (A Room of One’s Own). Cet appel, qui marque le point de départ de l’exposition Women House à la Monnaie de Paris, est celui d’une révolution intime et domestique. Celui d’une femme qui appelle toutes les autres à redéfinir les murs de leur foyer pour les transformer en espace de travail, en lieu de création. Un espace dans lequel elles ne seront plus reléguées, corsetées, mais un lieu « à soi », qu’elles se seront réapproprié. Pour créer, s’élever. On n’aurait pas pu trouver de meilleur point de départ pour cette exposition exceptionnelle d’artistes femmes. Toutes, à leur manière, ont suivi l’appel de Virginia Woolf. Elles ont détourné, recréé, moulé, détruit, associé, revisité, réinventé l’espace dans lequel elles sont restées – et restent encore – calfeutrées. « Les femmes sont restées assises à l’intérieur de leur maison pendant des millions d’années, si bien qu’à présent, les murs mêmes sont imprégnés de leur force créatrice », continuait Virginia Woolf dans Une chambre à soi. L’exposition part donc de ce cri et se poursuit de manière thématique jusqu’à des oeuvres récentes produites par une jeune génération d’artistes femmes, en passant par les années 1970, moment où les artistes femmes se rebellent contre la privation d’espace réel – d’exposition, de travail – et symbolique de reconnaissance.

A-Z Escape Vehicle Owned and Customized by Bob Shiffler, 1996 © Andrea Zittel, courtesy Sadie Coles HQ, London

Le corps, l’intime et l’espace qu’il habite

Une exposition de femmes autour d’une même thématique féminine ? Au départ, cela contrarie Camille Morineau, directrice des expositions et des collections à la Monnaie de Paris, et co-commissaire de Women House. En général, elle ne croit pas « à l’existence d’un art féminin. Il n’y a pas de “sujet pour les femmes artistes” : l’artiste crée, et ne fait pas un travail genré », explique-t-elle. Mais ici, c’est l’exception qui confirme la règle. « Le rapport entre le corps, l’intime et l’espace qu’il habite, c’est une thématique traitée par les femmes. Une exception qui s’explique aisément par le fait qu’elles ont toujours été renvoyées à leur espace domestique, à ce lieu fermé, et donc à leur enfermement. » 

Camille Morineau aime comparer son travail à celui d’un détective qui, à terme, accumule assez d’indices et de preuves pour confirmer une piste. « Il a fallu deux ans, et suffisamment de “preuves” pour que je puisse dire : oui, il s’agit bien d’un sujet traité par des artistes femmes de manière spécifique. Oui, c’est une thématique commune à énormément d’artistes femmes du XXe siècle. »

Si la thématique est commune, les huit chapitres de l’exposition reflètent la complexité des points de vue sur le sujet : ils ne sont pas seulement féministes (Desperate Housewives et ses femmes aux gestes répétitifs emmurées dans leur foyer), mais aussi poétiques (Une Chambre à soi, chapitre sur l’intérieur comme lieu inspirant, le foyer-laboratoire), politiques (Mobile-Homes, sur le nomadisme et l’exil), ou nostalgiques (Maisons de poupées, ces prisons miniatures offertes aux petites filles, ici détournées).

Martha Rosler. Woman with Vacuum, or Vacuuming Pop Art, de la série : Body Beautiful, or Beauty Knows No Pain, 1966-72.

On découvrira les « femmes-maisons », associations formelles entre le corps féminin et l’architecture, notamment à travers les sculptures de Louise Bourgeois de femmes dévorées par le foyer domestique, dont elles sont nourricières et soutiens. On explore avec ces artistes les limites de leur espace, physique et psychologique, avec notamment les images de l’Autrichienne Birgit Jürgenssen, pionnière de la mise en scène de soi qui se photographie dans les années 1970 déguisée en femme bourgeoise s’appuyant sur une vitre sur laquelle elle inscrit « Ich môchte hier raus ! » (« Je veux sortir d’ici ! »). On se rebelle avec elles contre les espaces étriqués, claustrophobiques ; on suffoque avec elles dans les maisons aux vitres obstruées et noires de la Britannique Rachel Whiteread et de la Suisse Heidi Bucher ; et on jubile avec elles quand les cloisons tombent, comme dans la vidéo de l’Italienne Monica Bonvicini, qui filme des coups de marteau dans les murs.

 

Women House

Jusqu’au 28 janvier 2018

à la Monnaie de Paris 11, quai de Conti

L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #27, en kiosque et disponible sur Relay.com.

 

Image d’ouverture © Birgit Jurgenssen. Hausfrauen – Küchenschürze (Housewives’ Kitchen) Apron, 1975/2003.

Explorez
Les images de la semaine du 27.01.25 au 02.02.25 : Nouvel An lunaire et faits divers
Chambre 207 © Jean-Michel André
Les images de la semaine du 27.01.25 au 02.02.25 : Nouvel An lunaire et faits divers
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye évoquent le Nouvel An lunaire, qui a eu lieu ce mercredi 29 janvier. Dans le...
02 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
À la Galerie Magnum, Ernest Cole met en lumière les strates de l'apartheid
Ernest Cole House of Bondage © Ernest Cole/Magnum Photos. Shebeens and Bantu Beer. 1960s.
À la Galerie Magnum, Ernest Cole met en lumière les strates de l’apartheid
La Galerie Magnum, située dans une petite cour intimiste de la rue Léon à Paris, s’est transformée en un livre ouvert sur le travail du...
01 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La Filature présente l'exposition Ce silence est bruissant de paroles
© Arno Brignon
La Filature présente l’exposition Ce silence est bruissant de paroles
Jusqu’au 25 mars, La Filature de Mulhouse présente l’exposition Ce silence est bruissant de paroles, un travail collectif qui réunit les...
31 janvier 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Pour sa première exposition, la Oana Ivan Gallery rend hommage à Peter Knapp
Paris, Ungaro, broderie Jakob Schläpfer, Stern, 1967 © Peter Knapp, Courtesy de l’artiste et de Oana Ivan Gallery
Pour sa première exposition, la Oana Ivan Gallery rend hommage à Peter Knapp
La Oana Ivan Gallery a ouvert ses portes avec Compte à rebours, 2024-1960, une rétrospective inaugurale consacrée à Peter Knapp. Jusqu’au...
30 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Prix Polyptyque 2024 : célébration des expérimentations et du livre photo
© Marion Ellena. Scrolling (de la ventana), 2023.
Prix Polyptyque 2024 : célébration des expérimentations et du livre photo
La Galerie Sit Down à Paris accueille les quatre lauréat·es du Prix Polyptyque 2024 pour une exposition conjointe qui se tient jusqu’au...
05 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Beggar’s Honey : Jack Latham s’immisce dans le monde clandestin des fermes à clics
© Jack Latham
Beggar’s Honey : Jack Latham s’immisce dans le monde clandestin des fermes à clics
Depuis dix ans, Jack Latham mène des recherches sur la naissance des théories conspirationnistes et la manière dont ces récits sont...
04 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #492 : battre le pavé
© Annissa Durar / Instagram
La sélection Instagram #492 : battre le pavé
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’emparent de la rue, l'arpentent, la figent, la saisissent. Détails chocs...
04 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l'œil des photographes qui racontent leurs images aux chics allures
© Guillaume Blot
Dans l’œil des photographes qui racontent leurs images aux chics allures
Fisheye se plaît à faire parler les photographes, à les inciter à dévoiler les secrets qui se cachent derrière leurs images. La rédaction...
03 février 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine