« 20 cents » : une pièce, des dizaines de combats de moutons

03 octobre 2017   •  
Écrit par Anaïs Viand
"20 cents" : une pièce, des dizaines de combats de moutons

Youcef Krache, 30 ans, réside à Alger. Durant trois ans, il a documenté une pratique illégale et pourtant répandue dans le Nord-Est de l’Algérie : le combat de moutons. Il a assisté à une centaine de combats. Sa série intitulée 20 cents est à découvrir à la Cité internationale des arts à Paris jusqu’au 4 novembre.

Fisheye : Comment es-tu devenu photographe ?

Youcef Krache : Au début, c’était pour faire plaisir à mon entourage. Il y avait un appareil qui circulait dans la famille et je photographiais quelques mariages. Et puis j’ai appris la photo à travers des livres et des films. J’ai développé ma propre approche photographique en étudiant les oeuvres de cinéastes de Scorsese, Lynch, Kubrick et celles de Depardon ou Koudelka concernant les photographes. Par ailleurs, je fais parti du collectif 220 qui a été lancé en 2016. J’ai appris beaucoup depuis que nous travaillons en groupe.

Quelle est l’origine de la série 20 cents ?

Je n’arrivais pas à identifier le dessin qu’il y avait sur une pièce de 20 centimes, pièce qui n’existe plus aujourd’hui. Et puis, j’ai assisté à plusieurs combats de moutons dans mon quartier. Mes frères ont participé à ce genre d’évènements, en amateur. J’ai su qu’il me fallait approfondir le sujet un jour à Alger alors que je promenais dans la ville. Ce jour-là, j’ai vu un mouton particulier, il n’était pas comme les autres : il n’avait pas de laine et il été tatoué avec du Enée. C’était un mouton de combat.

© Youcef Krache / collective220

En quoi consiste un combat de moutons ?

Un combat de moutons est avant tout un défi. Un propriétaire de mouton défie un autre propriétaire : “Toi, tu as un mouton, moi j’ai un mouton et je pense que le mien peut gagner contre le tien”. En général, on ne peut refuser ce genre de défi. C’est un peu comme à la boxe, il y a des catégories et seuls deux moutons du même niveau peuvent combattre. Le mouton perdant est celui qui refuse le combat. Quand les deux moutons sont trop têtus, on arrête le combat et on le remet à plus tard. En amont, il y a une étape très importante de préparation. Pendant deux ans, il faut préparer physiquement et psychologiquement le mouton. On lui fait suivre un régime alimentaire spécifique à base de légumineuses. Aussi, il est important de lui faire faire du sport. Enfin, le mouton est tondu afin de faire apparaître ses muscles et de le tatouer. Parfois, des personnes envoient leur mouton au combat après 9 mois seulement de préparation, ce n’est pas raisonnable.

Quand as-tu démarré ce projet ?

J’ai commencé à photographier les combats de moutons à la fin de l’année 2016. En amont, pendant deux ans, j’ai préparé mon terrain : j’ai identifié des propriétaires de moutons grâce aux réseaux sociaux. J’ai par exemple trouvé des groupes de passionnés de combats sur Facebook. Les défis se lançaient aussi par téléphone ou dans la rue. J’ai assisté à une centaine de combats et j’en ai photographié une dizaine.

© Youcef Krache / collective220

Comment composes-tu tes images ?

En général, j’aime bien décadrer mon sujet et montrer ce qui est moins évident. En décadrant, j’élimine une partie de la réalité. Par exemple, cette photo illustre un combat très classique. Deux moutons se font face et des personnes du public se disputent. En cadrant de cette façon, on a l’impression que le mouton se moque de la situation. J’aime bien ce cliché parce que chacun est libre d’interpréter.

Que cherches-tu à montrer au-delà du combat de moutons ?

Ici, les polémiques sur le burkini n’intéresse personne. Je voulais documenter des évènements réels et les combats de moutons font partie de notre quotidien.

Peux-tu nous parler de cette image utilisée pour la couverture du catalogue d’exposition ?

Aucun mouton ne figure. On pourrait penser que cet homme est une rock star. Nous n’avons aucune information sur l’évènement. S’agit-il d’un concert ? D’une soirée post-élection ? J’aime laisser planer le doute. Cet homme a gagné un combat. Sa victoire a suscité la ferveur de la foule : son mouton blessé a remporté le combat à la dernière seconde. En un instant, son mouton a pris une grande valeur. Oui, car un mouton qui gagne plusieurs combats peut être vendu à un bon prix.

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache

© Youcef Krache / collective220

© Youcef Krache / collective220

Explorez
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
23 avril 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les dessous de l'agence Stock Photo : un récit visuel du Québec
Deux jeunes Inuit pratique le chant de gorge devant leurs camarades. Campement d'Okpiapik. Nunavik, 1999 © Jean-François LeBlanc
Les dessous de l’agence Stock Photo : un récit visuel du Québec
Dans le livre Agence Stock Photo, Une histoire du photojournalisme au Québec, la photographe Sophie Bertrand et la directrice artistique...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Marie Baranger
Un regard brut sur l’exil récompensé par le Saltzman-Leibovitz Prize
© Zélie Hallosserie
Un regard brut sur l’exil récompensé par le Saltzman-Leibovitz Prize
À seulement 21 ans, Zélie Hallosserie remporte le premier Saltzman-Leibovitz Photography Prize pour The Game, un projet...
16 mai 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
La MEP s’apprête à dévoiler sa rétrospective sur Marie-Laure de Decker
Vietnam, 1971 © Marie-Laure de Decker
La MEP s’apprête à dévoiler sa rétrospective sur Marie-Laure de Decker
Du 4 juin au 28 septembre 2025, la Maison européenne de la photographie rendra hommage au parcours de Marie-Laure de Decker au moyen...
16 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Slave to Trends : le 93 selon Pooya Abbasian
© Pooya Abbasian, Neuf-Trois, 2024, impression sérigraphie sur verre de chantier
Slave to Trends : le 93 selon Pooya Abbasian
À travers Slave to Trends, un projet présenté en 2024 à la Fondation Fiminco, Pooya Abbasian explore les tensions entre esthétique...
16 mai 2025   •  
Écrit par Milena III