Fisheye: Quelle est ton histoire avec la plage des Mouettes ?
Sandra Mehl: C’est une histoire à la fois récente et personnelle. Récente parce que je l’ai redécouverte il y trois ans. Personnelle car lorsque j’étais enfant, nous allions déjà jouer à l’étang où elle se trouve avec mes cousins. Puis adolescente, j’ai grandi dans un quartier de Sète situé à 2 ou 3 kilomètres seulement de cette plage.
Peux tu nous décrire cette plage ? Ce qu’elle t’inspire ? Comment on s’y sent ?
C’est une plage aux contours irréguliers. Elle est bordée d’herbes, de roseaux, et regorge d’algues. Elle est atypique, et je crois que c’est pour cela que nous sommes nombreux à l’aimer. Je m’y sens bien, comme dans mon élément. Dans son désordre, cet endroit a quelque chose d’accueillant. Un habitant devenu un ami a même laissé des chaises et des tables en plastique devant sa maison pour permettre aux visiteurs de se « magnifier de l’horizon » comme il le dit joliment.
Que raconte cette série, réalisée dans la région où tu as grandi ?
Je pense que ce travail exprime en creux mon amour pour cet endroit du littoral, et pour les personnes qu’il m’évoque. Il raconte mon attachement à mes origines, à cette culture populaire et méditerranéenne, à sa douce folie, son exubérance, sa poésie. Je crois qu’il y a des lieux comme celui-là qui vous attendent, et qui offrent ce que vous n’avez pas encore conscience de rechercher, mais que vous réalisez plus tard. Il n’y avait plus, ensuite, qu’à prendre des images. Et même cela a été relativement instinctif.
Comment t’es venue l’idée de te lancer dans ce travail ?
Quand j’ai commencé ce projet en 2012, je n’imaginais pas en faire une série. Je suis tombée un peu par hasard sur cette plage et j’ai voulu faire des images comme des instantanés d’un lieu qui m’attirait fortement. Puis à force d’y aller, j’ai compris qu’un lien profond me reliait à cet endroit. C’est là que j’ai décidé d’y retourner les étés suivants pour en faire un travail de long terme plus intimiste.
Qui sont les gens que tu photographies ?
Des habitués de cette plage. Des familles réunies. Des pères qui transmettent leurs savoir-faire à leurs enfants. Des inconnus devenus depuis des amis. Des gens profondément attachés et fidèles à cet espace naturel et authentique qui a échappé au bétonnage asphyxiant de nos côtes.
Comment ont-ils reçus ta démarche, au premier temps de ta série ? Quels sont les liens que tu as tissé avec eux ?
Très peu de gens ont refusé de se faire photographier. La majorité a accepté sans retenue. Je pense que cela reflète leur état d’esprit sur cette plage, ouvert et détendu. D’années en années, on se revoit bien sûr. Certains sont devenus des amis que je vais voir régulièrement au bord de l’étang.Leurs cheveux ont poussé, leurs enfants ont grandi. On s’échange des nouvelles, et on philosophe sur la vie autour d’un apéro. Cet été, j’ai revu une famille dont j’avais photographiée la petite fille, Myriam, avec son oncle il y a deux ans. Cette photo a été publiée fin mai dans L’Obs. Ils m’ont raconté que la fillette avait montré le magazine à sa classe d’école, et que son oncle qui apparaissait aussi sur la photo l’avait mise en fond d’écran de son téléphone portable !
Le titre de ta série établit un lien entre la photographie et l’écriture. Avec qui imagines-tu correspondre en prenant ses photos ?
J”adore écrire. Mais cette fois-ci, j’ai écrit avec des images car c’est sous cette forme que se manifestent les souvenirs. Ce lieu et ses environs en comportent beaucoup: ceux de mon enfance, de l’adolescence et des premières fois qui fascinent pour toute une vie. J’ai choisi ce titre après coup en imaginant une correspondance faite d’images et de symboles du passé, avec des personnes qui ont beaucoup compté pour moi. Cet endroit est fait de profondeur et de légèreté. C’est un lieu d’ancrage et de rêverie.
Le post-scriptum marque généralement la fin d’un message. Or tu pars de cette idée pour démarrer une autre forme de correspondance qui est photographique : comment celle-ci se terminera ?
Peut-être est-elle déjà terminée avec la fin de ce projet, ou peut-être est-elle sans fin, je ne sais pas ! Je termine ce travail photographique cet été en tout cas, mais je reviendrai toujours le photographier, et de toute manière, mon lien avec ce lieu et aux moments qu’il m’évoque, lui, est éternel.
Qu’est-ce que t’apporte la photographie ?
Peut-être d’ancrer encore plus dans ma mémoire des choses que je ne souhaite pas oublier. Elle me permet aussi de m’immiscer dans des milieux où je ne serai pas aller sans le prétexte du reportage. Le boîtier c’est un peu le compagnon d’aventure.
Y-a-t-il une photo de la série qui soit ta favorite ?
Il y en a plusieurs, mais sans doute celle de ces deux femmes, dans l’eau, que l’on voit de dos, et qui tiennent une petit fille entre leurs mains en s’éloignant du rivage comme pour aller rejoindre le voilier qui se trouve au loin. C’est pour moi l’évocation d’un voyage dans le monde imaginaire.
En quelques mots, comment décrirais-tu ton style ?
J’aime travailler sur le décalage et sur la poésie des choses. En terme de thématique, je travaille essentiellement sur le rapport de l’homme à son territoire de vie et d’origine, avec une approche sociologique et une esthétique que j’adapte au sujet.
Quels sont tes projets pour la suite ?
Je travaille en ce moment à l’édition d’un livre sur cette série. Il devrait sortir l’année prochaine. J’envisage aussi d’autres projets documentaires à l’étranger.