Fisheye Magazine : Blickwechsel raconte cinq ans de ton histoire familiale. Peux-tu résumer cette expérience en quelques mots ?
Ina Schoenenburg : Je ne suis pas intéressée par la photo de famille conventionnelle où l’on donne à voir bonheur, succès et relations affectives. J’ai voulu montrer la vie réelle, celle qui n’est pas toujours faite de bons moments. Blickwechsel est un projet construit sur différents niveaux d’interprétations et d’intensité. À l’origine, je ne considérais pas ce projet comme un travail artistique.
Travailler avec mes parents était douloureux mais en même temps, cela a fait office de thérapie. Regarder ma famille à travers l’objectif a facilité ma démarche. L’appareil photo a joué un rôle de tampon entre mes parents et moi. La façon dont on se percevait a beaucoup évolué durant ce travail. En fait, le projet nous a rassemblé.
Nous sommes aujourd’hui plus proches et plus attentionnés les uns envers les autres. Nous discutons davantage aussi. Il existe toujours de petites tensions entre nous, mais nous sommes plus ouverts et nous cherchons ensemble les solutions.
Blickwechsel (en français, “regards échangés, ndlr) est un titre très juste. Quelle est la place du regard dans ton projet ?
Le regard occupe une place vraiment importante dans mon travail. L’image que nous avons de nous-même dépend du regard que nous portons sur les membres de notre famille : tendresse, distance, indulgence, malveillance… Cela détermine ce que tu es capable voir et ce que tu ne peux pas. À mon sens, le regard que l’on nous retourne est aussi important que notre propre regard.
Comment ta famille a reçu ce projet ?
Mon père était vraiment sceptique au départ. Il n’aimait pas être photographié et puis, il s’est finalement habitué. Quant à ma mère, elle était ravie que je m’intéresse à elle et elle a apprécié passer du temps avec moi. Ils ne se sont pas sentis concernés par le travail que je réalisais. Le résultat importait peu pour eux.
Qu’as-tu appris sur toi en réalisant ce travail ?
Ces contacts intenses avec ma famille m’ont fait réfléchir sur ma propre histoire. Des questions liées à mon enfance ont émergé. Par exemple, je me suis interrogée sur l’influence de l’éducation de mes parents sur mon développement personnel. J’ai essayé de comprendre leurs comportements de l’époque. Je souhaitais aussi savoir pourquoi nous avions des avis aussi divergents concernant les questions d’éducation.
Selon moi, la qualité du lien affectif mère-fille est primordial. En tant que mère, j’ai comparé le comportement de mes parents à mon égard avec le miens vis-à-vis de ma fille. J’ai découvert des similitudes et beaucoup de différences. Je ne dirai pas que je me suis « trouvée » à travers ce travail. Cela dit, grâce à ces échanges réguliers avec mes parents, j’ai pu expliquer mon propre comportement et cela m’a permis d’identifier mes besoins et exigences.
Les images sont-elles plus explicites que les mots ?
Non, je ne crois pas. Il me semble cependant qu’une photo est beaucoup plus efficace qu’un long essai. Une bonne image me touche immédiatement et me parle beaucoup. Dans le meilleur des cas, elle offre plusieurs interprétations. Je pense que cela dépend du spectateur et de sa sensibilité. Dans mon cas, la photographie me permet d’exprimer certains éléments et parfois, me transporte dans un état particulier. Les mots n’ont pas autant d’effets sur moi.
Qu’est-ce qu’une bonne photo selon toi ?
Quand je parviens à capturer une ambivalence dans une photo et une lumière à la fois légère, humoristique, complexe et en même temps un peu fataliste, alors je suis très heureuse.
Quel est le message que tu souhaites faire passer ? Dans quelle mesure peut-on s’identifier à ton histoire personnelle ?
La famille est un sujet important pour chacun d’entre nous. En général, les gens sont fortement influencés par leur famille. Nous avons tous des images spécifiques de la famille en tête. Je voulais dépasser mon ressenti et mon histoire. Je voulais que tout le monde puisse se reconnaître à travers mes images. Je suis toujours heureuse lorsqu’on vient me voir et qu’on me dit avoir été touché par mes photos ou bien que des souvenirs d’enfance sont remontés à la surface.
Ces souvenirs sont des preuves de leur existence : affections entre les différentes générations, moments heureux ou plus difficiles ou simplement le temps qui passe… Les photographies « clichées » ne m’intéressent pas.
Lors du festival Les Boutographies 2016, tu expliquais que tu voulais faire évoluer ce projet. Dans quel sens ?
Ce projet va forcément évoluer au cours des prochaines années. D’abord, tous les membres de la famille vont vieillir. Ma fille va vivre de nouvelles expériences. Mes parents auront peut-être besoin d’aide dans leur vie quotidienne. Une nouvelle forme de confiance va apparaître. Je pense que le projet va gagner en qualité et en intensité au fil des années.
En (sa)voir plus
Découvrez l’intégralité du travail d’Ina Schoenenburg sur son site Internet :
www.inaschoenenburg.de