Et hop, une occasion de vous rappeler que Fisheye #8 arrive bientôt en kiosque avec un dossier spécial Stars !
Depuis dimanche, l’actu “photo & people” qui fait du bruit, c’est la publication par des hackers de photos de stars nues piratées depuis iCloud.
Gentiment stockées sur le service d’Apple, ces images qui n’avaient pas vocation à être dévoilées ont fait le tour du Web. Et quand le chercheur en histoire culturelle et études visuelles André Gunthert en parle, ça devient vraiment intéressant.
Il y en a eu, il y en aura malheureusement d’autres : le vol et la diffusion via 4chan de plusieurs centaines de photos de célébrités nues le week-end dernier apparaît à première vue comme le triste rappel de la part fantasmatique de l’industrie du divertissement.
Je laisse de côté la dimension la plus discutée du cas, celle de la sécurité du cloud (que cette péripétie ne manquera pas de contribuer à renforcer) et autres lamentations sur la fin de la vie privée (le vol n’est pas la fin de la propriété).
Ce qui me frappe dans ces images, et qui fait évidemment leur valeur, en vertu du nouveau paradigme de l’authenticité qui structure l’image d’enregistrement, c’est leur banalité et leur intimité. Il ne s’agit pas, comme du temps des photos d’Estelle Halliday, de clichés de paparazzi volés sur une plage.
Il s’agit d’images de tous les jours réalisées par les acteurs eux-mêmes, souvent des selfies de mauvaise qualité, couvrant une large gamme allant de l’exhibition à la périphérie des ébats sexuels, où l’on reconnaît certes stars et starlettes, mais où l’on voit surtout des jeunes gens, qui s’autophotographient de façon très naturelle, comme vous et moi, comme n’importe qui ayant une vie sexuelle et un smartphone.
On ne peut que condamner le viol de l’intimité de ces jeunes femmes, dont le seul tort est leur notoriété. Mais cet accident a pourtant valeur de signe. A propos d’une iconographie par définition cachée aux regards, qui n’existe que pour être partagée au sein d’un couple ou d’un cercle d’amis intimes, la manifestation du caractère résolument banal de la pratique de l’autophotographie érotique est une information précieuse.
Plus encore que les pratiques sexuelles elles-mêmes, ces usages photographiques, quoique aussi anciens que les médias d’enregistrement, sont particulièrement difficiles à observer et à documenter, en raison du discrédit qui frappe l’image pornographique, unanimement condamnée.
Comme souvent en matière amoureuse ou sexuelle, les pratiques des stars, révélées de force, sont indicatives d’une évolution de toute la société. Et ce que nous disent ces images volées, dans leur joyeuse insouciance, c’est la normalisation et la prodigieuse expansion d’un genre autonome, boosté par l’autonomie numérique et la connexion généralisée.
Plus que le selfie classique, l’autophotographie érotique est un genre formellement déceptif, très éloigné des modèles de beauté inatteignables de l’industrie. Or, que la mauvaise qualité des poses n’ait dans ce cas aucune importance est une leçon qui doit faire réfléchir, pour ce qu’elle suggère d’une indépendance réelle par rapport aux modèles culturels (question complexe que je ne signale qu’au passage).
Malgré l’accablant sexisme qui a motivé le vol de ces photos, les actrices n’ont rien à craindre quant à leur image. Elles ne font que nous tendre un miroir – ou mieux encore : donner un peu de légitimité à une de nos libertés privées.
André Gunthert
Cet article était originellement publié sur le blog d’André Gunthert, Culturevisuelle.org