Styliste connue dans le monde entier, Agnès b. s’est imposée avec des vêtements simples, élégants et pratiques. Elle a fêté les 40 ans de sa marque, autant d’années passées à rencontrer photographes et artistes. Portrait d’une passionnée qui présente sa collection dans le cadre des Rencontres d’Arles. Texte par : Rachèle Bevilacqua.
« Donner à voir »,
cette expression revient sans cesse. Donner à voir ce que les photographes voient, ce que les graffeurs, les peintres, les artistes voient. Agnès b. est portée par ce désir. Elle le dit. Elle aime ça « donner à voir ». Car elle a vu. C’est Henri Cartier-Bresson qui donnera chair à ce désir. Lorsqu’elle découvre les portraits du photographe à la galerie Eric Franck, à Genève, elle est saisie par ce qui anime les visages, et par l’instant qui les cristallise. Cartier-Bresson fait jaillir la vie, la beauté, la grâce, les contradictions, les questions, les tourments et fait battre le cœur. Source de vie. Il révèle. Puis son regard s’intéresse au cadrage, à la composition.
On parle de la rétrospective Walkers Evans, au Centre Pompidou, et de ses magnifiques portraits pris dans le métro. Walker Evans, photographe « vernaculaire ». Le mot l’agace, ce mot savant qui ne parle pas aux gens, prononcé à tout bout de champ. Les tics de langage sont énervants car ce sont des postures, et Agnès b. n’aime pas la posture.
Elle est la première
Sa première exposition, en 1984, elle l’offre à Martine Barrat qui termine son reportage sur Harlem, et à qui elle a demandé de photographier Barbès, lieu de vie s’il en est. À la fin des années 1990, Agnès b. rencontre Harmony Korine, scénariste de Kids, le film de Larry Clark. Ils s’entendent immédiatement, et elle lui achète des photos et des dessins, qu’elle va prêter au Centre Pompidou pour une exposition qui sera consacrée au jeune cinéaste à l’automne prochain.
C’est aussi Agnès b. qui, la première, représente Nan Goldin en France. Gilles Dusein, collectionneur et marchand d’art, lui avait demandé de s’occuper de la photographe américaine, et Agnès b. a proposé à la photographe de projeter les images au cinéma La Bastille en les commentant en direct. « Nous étions tous à moitié en pleurs. Nan y compris. Cette séance est inoubliable. » Une exposition classique n’aurait pas eu autant d’effet. Mais le succès change, il modifie la façon de travailler et la teneur des images, surtout pour les photographes en prise avec le quotidien, comme pour Ryan McGinley. Une dizaine d’images montrées lors d’une fête new-yorkaise éclairée aux bougies avaient convaincu Agnès b. du talent du jeune homme. Elle est la première à l’exposer. C’était à Los Angeles. Elle lui paie pellicules et planches-contacts. Aujourd’hui, Ryan McGinley travaille avec une grosse production et il a été débauché par la Team Gallery, à New York.
“Donner à voir est un privilège, mais en exposant, on s’expose aussi. On dit de quel côté de la vie on se place.”
C’est le galeriste Jean Fournier, chez lequel elle faisait un stage à 17 ans, qui l’initie à l’art. « Je venais de me marier avec Christian Bourgois, je dessinais neuf heures par semaine aux Beaux-Arts de Versailles, et je voulais être conservateur de musée. J’étais timide et je l’écoutais beaucoup. Il a mis des mots sur des choses que je sentais. » « Depuis, Agnès b. découvre les artistes, et les galeries s’en emparent », dit Yvon Lambert, qui va exposer cet été 350 pièces de la collection d’Agnès b. à Avignon dans le cadre des Rencontres. Collection déjà présentée au Centre national de la photographie en 2000, aux Abattoirs de Toulouse en 2004, au LaM de Lille en 2015, ou au Musée national d’histoire de l’immigration à Paris à 2016.
Les oeuvres racontent toujours le collectionneur
Chacune de ces expositions dresse le portrait de la créatrice en filigrane. Les œuvres racontent toujours le collectionneur. Elles ont toutes été choisies, et choisir n’est jamais le fruit du hasard. « Donner à voir est un privilège, mais en exposant, on s’expose aussi. On dit de quel côté de la vie on se place. On s’expose à la critique, mais aussi au bonheur d’être reconnu par les siens. » Un achat en appelle un autre, toutes les pièces sont reliées les unes aux autres : « Je dois aujourd’hui montrer ce fil et continuer à prêter les œuvres au plus grand nombre d’institutions », dit-elle.
Chez Yvon Lambert, les règles du jeu changent. Pour la première fois, elle n’a pas choisi les pièces, ni les images exposées. Élodie Cazes, coordinatrice de sa collection, s’en est chargée, et Agnès b. fera, comme à son habitude, l’accrochage. Les photos de Massimo Vitali prises dans les discothèques sont de la sélection. « On connaît très peu ce travail. Ses images sont pourtant très intéressantes. Installé sur son échelle, il attend que les gens composent l’image, et on remarque toujours un individu qui se détache de la foule. Massimo continue de travailler à la chambre », ajoute-t-elle. On retrouvera aussi les photos de Larry Clark, Helen Levitt, Malick Sidibé et Leila Alaoui, entre autres.
Les amis d’Agnès b. sont des artistes : « Leur travail porte la beauté, et la beauté fait du bien », explique-t-elle. Leurs œuvres aident à comprendre. Et elle a eu besoin de comprendre et de trouver un sens à sa vie. En 1958, alors qu’elle est en terminale, une de ses amies arrive, enceinte, habillée en noir. Son compagnon a été tué pendant la guerre d’Algérie. Le monde bourgeois, catholique, de droite, installé à Versailles d’Agnès b. explose. Il lui a fallu en créer un autre. Elle vient de se marier avec Christian Bourgois et, pour gagner sa vie, travaille au magazine Elle, qui aime son style constellé de pièces chinées aux puces. En 1976, elle ouvre sa boutique rue du Jour et expose photos, dessins et œuvres divers. Juste en face, en 1984, c’est une boucherie qu’elle transforme en galerie, qui déménagera en 1996 pour rejoindre la rue Quincampoix où elle est toujours. Son attirance et sa curiosité pour l’art ont constitué son éducation sentimentale, c’est désormais sa source de jouvence.
Image d’ouverture : Portrait d’Agnès b. par © Patrick Swirc / Modds