Black Panthers et droits civiques… le combat continue (1/2)

06 décembre 2018   •  
Écrit par Anaïs Viand
Black Panthers et droits civiques… le combat continue (1/2)

Deux expositions, l’une à Lille, sur les Black Panthers photographiés par Stephen Shames, et l’autre à Montpellier, sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis, interrogent la dimension sociale et politique de la photographie documentaire. Retour sur des pratiques militantes de l’image. Voici la première partie de cet article, à retrouver dans notre dernier numéro.

Été 2017. À Charlottesville (Virginie), la polémique autour du déboulonnage de la statue du général Lee – figure controversée des confédérés – éclate. Le 12 août, lors d’un rassemblement de l’extrême droite américaine, une voiture bélier fonce sur des contre-manifestants antiracistes, faisant un mort et dix-neuf blessés. Le combat est jugé « insensé » par le président américain Donald Trump, connu pour ses dérapages xénophobes. « George Washington possédait des esclaves. Est-ce qu’on va enlever ses statues ? », déclare-t-il alors. Sur Twitter, il ajoute : « Triste de voir l’histoire et la culture de notre grand pays mises en pièces par le retrait de nos magnifiques statues et monuments. »

Si le Ku Klux Klan a officiellement disparu en 1944, certains membres du groupe suprémaciste continuent d’agir. Le sujet a d’ailleurs inspiré Spike Lee pour son dernier film, BlacKkKlansman, J’ai infiltré le Ku Klux Klan. Deux ans après le cinquantième anniversaire du mouvement des Black Panthers et cinquante ans après l’assassinat de Martin Luther King, deux lieux en France s’emparent du sujet encore brûlant des droits civiques aux États-Unis, et pointent une cause faisant l’objet de nombreuses joutes politiques : l’égalité raciale. Il n’y a eu aucune concertation entre les commissaires, pourtant les deux expositions se répondent et se complètent avec évidence. Si toutes deux traitent des Noirs américains dans les années 1960-1970 et ont été imaginées à partir de fonds d’archives, elles se distinguent dans leurs approches. La première est collective et factuelle, tandis que la seconde est monographique et esthétique. Visite et décryptage.

© Roland Freeman

© Roland Freeman

I am a man

L’exposition I am a man – Photographies et luttes pour les droits civiques dans le sud des États-Unis, 1960-70, accueillie par le Pavillon populaire à Montpellier, offre un récit visuel fascinant de la conquête des droits civiques par les Noirs américains. « Cette exposition s’insère dans le dernier volet de la saison 2018 consacré au lien entre photographie et histoire », annonce Gilles Mora, directeur artistique du lieu. Avec William Ferris, le commissaire de l’exposition – anthropologue et professeur d’étude de la culture américaine et afro-américaine à l’université de Yale –, ils vont, après deux ans de recherches, dévoiler des clichés de photographes ou de journalistes locaux témoignant de l’omniprésence de ce mouvement dans la vie quotidienne sud-américaine. Ils expliquent avoir choisi de montrer « le quotidien, vu de l’intérieur ».

Les 350 images sélectionnées, et montrées pour la première fois, illustrent le contexte socio-économique et politique des
années 1960-1970. En parcourant l’exposition, le visiteur est plongé dans les revendications, notamment le droit de vote, des Afro-Américains au travers de temps forts. Comme les marches de protestation et de soutien (celle de Washington en 1963, celles de Selma, à Montgomery, en 1965) qui ont constitué les plus grands rassemblements politiques de l’histoire. I am a Man (« Je suis un homme ») s’affiche sur les pancartes des militants en colère. Suivent des clichés autour de l’assassinat puis des funérailles de Martin Luther King. Des images glaçantes de rassemblements du Ku Klux Klan complètent ce panorama. À cette époque, la photographie représente un témoignage puissant du conflit social et politique, marquant les esprits plus fortement que l’oral ou l’écrit.

© Don Sturkey

© Don Sturkey

« J’ai voué ma vie à essayer de rétablir la justice »,

confie William Ferris, qui fut président du National Endowment for the Humanities (NEH, équivalent du ministère de la Culture) durant le deuxième mandat de Bill Clinton. « J’ai grandi dans une ferme. Je jouais avec les enfants des employés noirs. Quand est venu le moment d’aller à l’école, je n’ai pas compris pourquoi nous étions séparés », poursuit-il. Une prise de conscience qui a donné lieu à une série d’actes politiques. « J’ai d’abord enregistré les voix de ce peuple oublié. En 1964, je me suis engagé dans le mouvement des droits civiques », ajoute ce spécialiste de la culture du sud des États-Unis.

« William et moi voulions montrer comment des photographies documentaires ont pu influencer l’opinion publique, déclare Gilles Mora. Des photos de lynchage de Noirs dans la presse ont fait bouger quelques lignes. Et aujourd’hui, elles sont nécessaires pour faire prendre conscience d’éléments un peu oubliés. Je crois au pouvoir des expositions historiques », poursuit le directeur artistique, persuadé que la photographie documentaire constitue un élément capital d’un projet idéologique. « En 1960, le contexte était différent. L’inexistence des réseaux sociaux et des smartphones donnait plus de poids aux images, elles étaient regardées », précise-t-il. Les images d’archives présentant les événements d’il y a cinquante ans résonnent avec les problématiques sociétales actuelles. « Le racisme est un cancer en rémission, et les problèmes sociaux demeurent », conclut William Ferris.

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #33, en kiosque et disponible ici.

© Roland Freeman

© Roland Freeman

© Dan Budnik

© Dan Budnik

© Bob Adelman© Don Sturkey

© à g. Bob Adelman, à d. Don Sturkey

© Don Sturkey

© Don Sturkey

© Ernest Withers© Ernest Withers

© Ernest Withers

I am a man. Photographies et luttes pour les droits civiques dans le sud des États-Unis, 1960-70

Jusqu’au 6 janvier 2019.

Pavillon populaire, Esplanade Charles- de-Gaulle, à Montpellier

www.montpellier.fr

Explorez
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d'inspiration »
Le linge, 2021 © Basile Pelletier
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d’inspiration »
Le jeune talent Basile Pelletier, 21 ans, ancien élève de la section art et image de l’école Kourtrajmé, échange avec le photographe...
17 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
© Piotr Pietrus / Instagram
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine font résistance. Résistance contre l’oppression, contre les diktats, contre les...
15 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
© Olivia Gay
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
La quatrième édition de Fotohaus Bordeaux a commencé. Jusqu’au 27 avril 2025, l’Hôtel de Ragueneau accueille l’événement qui, cette...
12 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l'œil de SMITH : métamorphose des sols
Dami (Fulmen), 2024 © SMITH, Courtesy Galerie Christophe Gaillard.
Dans l’œil de SMITH : métamorphose des sols
Aujourd’hui, plongée dans l’œil de SMITH, qui nous révèle les dessous de deux images issues de sa série Dami (Fulmen), réalisée lors de...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
© Rosalie Kassanda
Les coups de cœur #540 : Rosalie Kassanda et François Dareau
Nos coups de cœur de la semaine, Rosalie Kassanda et François Dareau, arpentent les rues du monde en quête de quelques étonnements et...
21 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
20 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
© Sander Coers
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
Au fil de ses projets, Sander Coers sonde la mémoire en s’intéressant notamment à l’influence que nos souvenirs exercent sur notre...
19 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet