Hautement graphiques, les créations visuelles de Bastiaan Woudt nous emportent dans un monde où la mode et le minimalisme vont de pair. Des monochromes envoûtants à redécouvrir dans le Fisheye #58.
Fragments de temps figé, les portraits de Bastiaan Woudt frappent immanquablement par leur atemporalité. On a du mal à situer ses images, aussi gracieuses que mystérieuses, tant elles livrent peu d’information. On ne reconnaît ni la personne à l’image ni le lieu où elle se trouve. Évocateur des clichés monochromes d’Irving Penn et des aplats audacieux de Sarah Moon, le travail du jeune artiste néerlandais s’inscrit pleinement dans l’héritage de la photographie de mode et positionne le photographe à l’avant-garde de la discipline. Car malgré ses références aux grands portraitistes, il emploie toutes les ressources du numérique pour affirmer son regard et contrôler ses créations. Une virtuosité qui l’a amené à exposer son travail dans de nombreuses galeries à travers l’Europe et l’Amérique du Nord, et à publier plusieurs ouvrages, dont l’immense Rhythm en 2021, avec sa maison d’édition 1605 Publishers. Bastiaan Woudt devient une figure emblématique du 8e art, avec un style reconnaissable entre tous.
Grâce à son minimalisme maîtrisé, il déstructure les corps de ses modèles afin de reconstruire de nouvelles formes. À cet effet, l’utilisation stratégique de chapeaux, de robes et d’écharpes dissimule ses sujets pour mieux révéler leurs caractéristiques. Quelques lignes épurées et un nombre réduit de plans composent ses images qui semblent flotter hors du réel. La courbe imposante d’un tissu, la texture remarquable d’une peau ou le détail étincelant d’un bijou attrapent l’attention et structurent la composition. L’équilibre tient à ces frêles détails car, à l’inverse, le regard des modèles est fuyant. En le camouflant, le photographe nous désoriente et nous prive de toute interprétation. Une dualité que l’on retrouve dans sa palette contrastée. Noirs charbonneux et blancs laiteux, le monochrome permet d’appuyer ce cache-cache visuel avec le modèle. Par l’absence de couleurs, l’artiste joue davantage avec la lumière et souligne les ombres pour créer des compositions expressives. Comme avec un projecteur, le noir et blanc souligne les détails les plus subtils en dissimulant d’autres parties, un jeu de contraste qui rend ses images brillantes.
Tout comme un croquis au fusain peut prendre une forme naïve, les modèles sculptés par les noirs de Bastiaan Woudt s’imposent comme des figures pures et hors du monde. Fruit d’un élan surréaliste, l’œuvre de l’artiste libère la pensée de la raison et de la logique, et révèle les territoires inexplorés de l’inconscient. Face à ces portraits aux allures de tableaux d’art moderne, on ne peut que se laisser entraîner et tomber dans cet univers éthéré. Dans ce jeu de cache-cache entre modèle et regardeur orchestré par le portraitiste, l’interprétation cède la place à la contemplation, et la technique ouvre la voie à la rêverie.
© Bastiaan Woudt