À Bruxelles, l’exposition Eyes Wild Open réunit un ensemble d’auteurs qui ont tous, à leur époque et à leur manière, choisi de réécrire la photographie. De William Klein à Alisa Resnik en passant par Antoine d’Agata ou les artistes de la revue japonaise Provoke, cette famille de photographes cultive l’art de la disruption. Un article à retrouver dans notre numéro 29.
« On ne pouvait pas continuer à faire les choses comme avant », affirmait William Klein dans un entretien accordé à Art Press en 2003. Il expliquait ainsi le besoin qui traversait toute une génération d’artistes dans les années 1950 de rompre avec l’existant. Cette volonté de trouver de nouvelles façons d’exprimer le monde autant que leur manière de vivre est une des lignes de force qui traverse l’exposition Eyes Wild Open : Sur une photographie qui tremble. Cette exposition-manifeste rassemble une trentaine de photographes internationaux qui cherchent tous une nouvelle écriture photographique. « C’est cette notion de rupture avec les conventions que je souhaitais analyser avec ce projet, même si la photographie classique et humaniste a continué à produire des œuvres magnifiques », précise Marie Sordat, commissaire d’exposition et photographe, qui a travaillé cinq ans à la réalisation de cet événement.
Une expérience existentielle
Après la série Love on the Left Bank d’Ed van der Elksen (1953) et les livres New York de William Klein (1956) et Les Américains de Robert Frank (1958), ce sont les membres de la revue Provoke, au Japon, qui, dans les années 1960, manifestent « cette volonté de dynamiter le langage installé, codifié, institutionnalisé, instrumentalisé», détaille Diane Dufour, directrice du BAL, dans l’ouvrage qui accompagne l’exposition. Elle précise également que « la notion d’expérience est centrale pour les photographes de Provoke ». Une expérience existentielle que partagent les auteurs réunis. « Il s’agit ici de rassembler et de mettre en dialogue les œuvres de ces inclassables qui, depuis les années 1950, forment non pas un mouvement mais ce qu’on pourrait qualifier de famille. Une famille éclatée, certes, car aux liens, aux rhizomes multiples, aux langages divers, mais dont les membres participent tous d’un même mouvement », analyse la journaliste Caroline Bénichou, qui signe le texte d’ouverture de l’exposition. Cette dernière déploie d’ailleurs une scénographie « construite pour que, quoi qu’on regarde d’un mur à l’autre, on puisse avoir une perspective avec un autre photographe en parallèle. Il s’agissait pour les deux scénographes, Alexandra Delabie et Mike Derez, de faire résonner visuellement les travaux sans pour autant proposer un parcours strictement historique ou didactique », explique la commissaire Marie Sordat.
Ainsi, les associations de différentes natures y sont légion et vont traverser les frontières: les Suédois (Christer Strömholm, Anders Petersen et JH Engström) y affirment les liens qui les rassemblent, tout en faisant écho aux photographes japonais (Daido Moriyama, Takuma Nakahira et Miyako Ishiuchi). Mais le dialogue devient choral en s’invitant aussi au Portugal (Paolo Nozolino), en France (Antoine d’Agata, Dolorès Marat, Klavdij Sluban, Gilles Roudière ou Gabrielle Duplantier, entre autres), en Corée du Sud (Jehsong Baak), en Israël (Michael Ackerman), en Russie (Alisa Resnik), aux Pays-Bas (Ed van der Elsken), en Turquie (Yusuf Sevinçli), en Finlande (Arja Hyytiäinen), en Belgique (Sébastien Van Malleghem), en Inde (Sohrab Hura), sans oublier la Suisse (Robert Frank) et les États-Unis (William Klein)… Une conversation qui traverse plusieurs générations de photographes dont les écritures singulières se nourrissent les unes les autres.
Sans titre, 2012 © Charpentier
Life is Elsewhere, 2011 © Sohrab Hura
Volta, 2014 © Gabrielle Duplantier
Good Dog, 2006 © Yusuf Sevinçli
À g. Close Distance, 2002 © Anders Petersen, à d. Albanie, 2010 © Gilles Roudière
À lire :
Eyes Wild Open : Sur une photographie qui tremble, André Frère Éditions, 39,50 €, 240 pages.
À voir :
Eyes Wild Open, sur une photographie qui tremble
Jusqu’au 22 avril 2018
Rue Royale 236, à Bruxelles
L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #29, en kiosque et disponible ici.