Les Rencontres d’Arles : explorations politiques

26 juillet 2018   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les Rencontres d'Arles : explorations politiques

Difficile de dissocier l’histoire, la religion et l’analyse de la réalité des questions politiques. L’exposition 1968, Quelle histoire ! propose une véritable révolution du regard en racontant le « joli » mai du côté de la police. Le photographe norvégien Jonas Bendiksen a partagé le quotidien de sept hommes prétendant chacun être le messie et  l’artiste autrichien Gregor Sailer a revisité l’expression « village Potemkine » en répertoriant 
un peu partout dans le monde de vrais-faux villages. Trois explorations politiques à découvrir aux Rencontres d’Arles et dans notre dernier numéro, sous les plumes sous les plumes de Jacques Denis et Anaïs Viand.

« En me plongeant dans les archives de la police, j’ai découvert qu’en face des manifestants, il y avait des êtres humains, avec leurs doutes, leurs certitudes. Dans les rangs des forces de l’ordre, on observe deux points de vue : les plus anciens, qui avaient déjà servi sous le préfet Papon, étaient plus enclins à une réponse musclée ; et les plus jeunes, qui n’étaient pas du tout préparés, n’avaient pas envie d’en découdre avec d’autres jeunes. »

En charge du commissariat de l’exposition, Bernadette Caille travaille depuis deux ans cet angle inédit: les événements à travers le prisme de la police. « Mais cette idée est née il y a une dizaine d’années, lorsque je travaillais sur un livre dédié au 36 quai des Orfèvres [l’ex-siège de la PJ]. J’avais déjà eu accès aux archives de la police. »

C’est ainsi que cette éditrice spécialisée dans les livres d’histoire a commencé son enquête, un travail laborieux avec son lot d’autorisations et de précautions d’usage. « Il s’agissait de ne pas demander des dossiers personnels, mais de rester sur un terrain visuel », précise la commissaire. En 2017, paraît Mémoires de police, dans la tourmente de Mai 68, un livre écrit par Charles Diaz, historien de la police. Il aura encore fallu six mois de plus à Bernadette Caille pour affiner sa sélection en vue de l’exposition et trouver des images complémentaires. Une cinquantaine de photos – essentiellement contrecollées sur cartons, quelques retirages et des wallpapers, certaines archives qui n’avaient pas été tirées à l’époque –, une vingtaine de documents de la Préfecture de police, principalement des notes des Renseignements généraux, et des messages transmis par talkie-walkie forment le corpus de cette exposition. « C’est la première fois qu’un tel ensemble aussi complet est présenté ! Il s’agit de montrer un point de vue qu’on ne voit jamais. » Si on y retrouve quelques images connues, comme celle de Cohn-Bendit près de la Sorbonne, et d’autres clichés déjà vus lors d’expositions aux Archives nationales, la plupart de ces sources restent inédites pour le public.

Manifestation du 6 mai 1968. Avec l’aimable autorisation de Préfecture de Police de Paris.

Manifestation du 6 mai 1968. Avec l’aimable autorisation de Préfecture de Police de Paris.

© Marcelo Brodsky, courtesy HFFA NYC & Rolf Art Gallery

© Marcelo Brodsky, courtesy HFFA NYC & Rolf Art Gallery

Essayer de comprendre ce qu’est la foi

Fisheye : Pourquoi la foi vous inspire ?

Jonas Bendiksen: La photographie est le langage que j’utilise pour explorer le monde qui m’entoure et pour essayer de me l’expliquer. Le Dernier Testament est né d’une longue fascination pour la religion et d’un besoin de comprendre ce qu’est la foi, la croyance, et ce en quoi on peut croire. Enfant, je n’ai pas été éduqué dans un environnement religieux. Si la foi a toujours représenté un objet mystérieux pour moi, beaucoup d’autres l’ont et voient le monde à travers elle. Au quotidien, on peut voir le pouvoir colossal de la religion dans nos sociétés.

Comment est né Le Dernier Testament ?

À la fin des années 1990, alors que je travaillais dans un journal, en Russie, j’avais découvert l’existence de Vissarion, un messie sibérien. Quelques recherches m’ont permis de découvrir qu’il était toujours actif et comptait de nombreux disciples. Comme lui, beaucoup d’autres affirment être le messie venu sur Terre. J’en ai sélectionné six autres. J’ai suivi les pistes en surfant sur la Toile.

Qu’avez-vous appris sur la religion en réalisant ce travail?

On n’a pas réussi à me convertir, mais j’ai eu l’occasion de côtoyer des personnes qui croient fortement en une personne. J’ai vécu des instants très émouvants et magiques avec eux. Auparavant, j’étais un athée obnubilé par une question essentielle : est-ce vrai ou non ? Aujourd’hui, je suis moins sûr que cette approche binaire soit la bonne. Est-ce vraiment important de savoir qui de Vissarion ou l’INRI [Jésus] est le messie ? Qu’en est-il des valeurs véhiculées dans ces communautés?

Pensez-vous que notre monde a besoin d’un messie?

Je ne suis pas sûr que nous en ayons besoin, mais il est certain que l’humanité en désire un. Historiquement, il y a eu beaucoup d’individus étiquetés comme messies par leurs disciples. C’est un phénomène qui se propage autour de nous. Le succès de certains politiciens comme Donald Trump est une manifestation du rêve selon lequel il y aurait une personne capable de nous sauver de tout le désordre que nous avons créé.

© Jonas Bendiksen

© Jonas Bendiksen

© Jonas Bendiksen

Le village Potemkine

Pour Gregor Sailer, la photographie documentaire et d’architecture « est l’outil idéal qui me permet de raconter le monde, révéler des informations, et défendre une opinion ». Si l’Autrichien, qui pratique la photo depuis l’âge de 14 ans, puise son inspiration en regardant le monde qui l’entoure, il est aussi passionné par le faux, les copies et autres éléments à la frontière entre fiction et réalité. « J’essaie de trouver de nouvelles perspectives et de pénétrer des espaces difficiles d’accès », confie-t-il. Il revisite ici l’idée de « village Potemkine ». En 1787, en Crimée, le prince et ministre russe Grigori Aleksandrovich Potemkine aurait fait ériger des façades en carton- pâte pour masquer la pauvreté locale lors de la visite de l’impératrice Catherine II.

Entre 2015 et 2017, Gregor Sailer parcourt le monde à la recherche de « versions modernes du mythe ». Une quête de l’invisible qui le conduit dans vingt-cinq pays: France, Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Russie, Chine, États-Unis, notamment, où il photographie des « constructions architecturales motivées par des enjeux politiques, militaires ou économiques ». Ainsi, le public pourra retrouver, entre autres, des centres de formation au combat aux États-Unis, de fidèles répliques de villes européennes en Chine, des zones d’essais pour véhicules en Suède, ou encore des rues mises en scène pour la visite de personnalités politiques.
Ce travail au long cours a nécessité d’importantes recherches, car les accès et les contacts sont difficiles. « Il m’a fallu recouper un grand nombre d’informations afin de distinguer le vrai du faux, précise le photographe. Entrer dans des zones militaires restreintes, cela prend des mois. » En photographiant l’envers du décor, Gregor dénonce une société régie par le faux, par-delà les frontières. Ses images réalistes invitent le spectateur à se méfier des apparences pour se forger sa propre opinion.

© Gregor Sailer

© Gregor Sailer
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© Gregor Sailer
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© Gregor Sailer

© Gregor Sailer

Ces articles sont à retrouver dans Fisheye #31, en kiosque et disponible ici.

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