Refaire surface

21 novembre 2019   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Refaire surface

Réhabiliter les femmes artistes effacées de nos livres d’histoire, voilà tout l’enjeu de Resurface I & II. Cette série signée de l’artiste allemande Johanna Reich est présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain, à Paris, jusqu’au 23 novembre. Révélation d’un travail au long cours, sensible et nécessaire. Cet article, rédigé par Gwénaëlle Fliti, est à retrouver dans notre dernier numéro.

Corinne Michelle West, Thalia Flora Karavia ou Julia Margaret Cameron: ces noms vous parlent ? Non, il ne s’agit pas des dernières instagrameuses à la mode, mais bien de femmes artistes ayant eu de leur vivant, aux XIXe et XXe siècles, une grande influence sur leurs contemporains. Vous ne voyez toujours pas ? C’est normal, elles ont, au fil du temps, étrangement disparu de l’histoire officielle de l’art. Celle qui s’est donné pour mission de leur redonner leurs lettres de noblesse, c’est Johanna Reich, artiste allemande de 42 ans, dont le travail s’articule autour de l’ère numérique, de l’identité, de la mémoire et du féminisme. À l’instar de la peintre française Marie Morel et de son œuvre, Les Femmes des siècles passés, ou de la dessinatrice Pénélope Bagieu, à l’origine de la célèbre bande dessinée Culottées, Johanna Reich s’évertue, elle aussi, avec Resurface I & II, à remettre en lumière les oubliées de l’histoire.

« Lorsque j’étais étudiante à l’Académie des beaux-arts [à Münster, en Allemagne], se souvient-elle, je pensais que nous étions toutes et tous égaux. Ce n’est que plus tard, lorsque je suis devenue une artiste, que j’ai réalisé à quel point c’était faux. Dès lors, j’ai commencé à fouiller le passé. En rouvrant mes livres d’histoire de l’art, j’ai remarqué que pour mille artistes masculins, il n’y avait que cinq femmes. » Partant de ce triste constat, Johanna Reich décide d’approfondir ses recherches. C’était il y a dix ans. Durant cette période, elle s’est rendue à Washington et à Berlin pour consulter les archives des musées. Son enquête l’a aussi conduite à Londres, au Victoria and Albert Museum. Elle y a découvert la portraitiste britannique Julia Margaret Cameron, décédée en 1879, connue de la scène photographique, mais peu du grand public. « N’étaient accrochées que deux ou trois de ses œuvres. Ce n’était pas assez pour une artiste aussi extraordinaire », a pensé Johanna Reich. Et c’est ainsi qu’elle a commencé à collecter les portraits des plus talentueuses peintres, sculptrices, cinéastes et femmes photographes de ces deux derniers siècles.

Corinne Michelle West par © Johanna Reich

Corinne Michelle West par © Johanna Reich / Courtesy Priska Pasquer Gallery 2019

Des Polaroids pour réécrire l’histoire

Resurface I & II

– sa série exposée au festival PhotoSaintGermain du 6 au 23 novembre – rassemble les travaux de plus de 400 femmes artistes. La première partie se compose d’un film de trois heures qui présente 160 Polaroids dévoilant les visages de celles qui sont passées à la trappe de l’histoire. Pour la seconde partie, centrée sur les artistes plus connues mais sous-exposées, il s’agit de portraits tirés en grand format, tous issus de Polaroids scannés au premier stade de leur développement – au moment où les contours émergent, à l’orée de leur révélation, entre présence et absence. Un jeu subtil entre numérique et analogique, dans lequel Johanna aime évoluer. Son travail se prolonge par la création du profil Wikipédia de chacune des artistes qu’elle présente.

Une mission fastidieuse que l’Allemande mène à bien avec le concours d’expertes, de chercheuses et de chercheurs. La présence progressive de ces femmes artistes, jusqu’alors tout aussi sous-exposées sur le web, esquisse un autre paysage de l’art des XIXe et XXe siècles que celui enseigné depuis des décennies. Johanna est « fascinée » par l’idée que le monde est différent de celui que nous pouvions imaginer. « Quand je regardais en arrière, en tant qu’artiste féminine, je n’avais pas d’histoire, lâche-t-elle. Il n’y avait qu’une histoire masculine avec des artistes – certes merveilleux – comme Picasso ou Monet. J’ai été soulagée d’apprendre que nous avions aussi beaucoup de femmes artistes – et pas uniquement Frida Kahlo ! » Les mettre ainsi en ligne pour « réécrire l’histoire » lui permet de « changer le monde » en tentant d’en créer un plus équitable pour « en tirer quelque chose de positif ».

 

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #39, en kiosque et disponible ici.

 

Du 6 au 23 novembre 2019

Resurface I & II, festival PhotoSaintGermain

L’agence à Paris
, 54 rue Mazarine, à Paris (6e)

Marie Bracquemont par © Johanna ReichJulia Margaret Cameron par © Johanna Reich

à g. Marie Bracquemont, à d. Julia Margaret Cameron par © Johanna Reich / Courtesy Priska Pasquer Gallery 2019

Explorez
Performer l'invisible : Hoda Afshar et l'acte de regarder
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Performer l’invisible : Hoda Afshar et l’acte de regarder
Avec Performer l’invisible, Hoda Afshar transforme une partie du musée du quai Branly – Jacques Chirac en espace de réflexion sur le...
30 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
© Léo d'Oriano
Les images de la semaine du 22 septembre 2025 : poésie, transmission et écologie
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les images publiées dans Fisheye donnent à voir des messages d’émancipation, de ruptures avec les...
28 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
© Valentin Derom
Valentin Derom : photographier le soin dans toute son ambivalence
Avec Support Systems, Valentin Derom explore les gestes de soin là où on ne les attend pas : dans les étables, aux côtés de son père...
26 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Contenu sensible
Marvin Bonheur et Sofiya Loriashvili rejoignent la collection SUB de Fisheye Éditions !
Only you and me © Sofiya Loriashvili
Marvin Bonheur et Sofiya Loriashvili rejoignent la collection SUB de Fisheye Éditions !
Forte de son nom faisant à la fois référence à la subculture, la subversion et au mot « suburb » ("banlieue" en anglais), la collection...
24 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
Speak the Wind, 2015-2020 © Hoda Afshar, Courtesy de l'artiste et de la Galerie Milani, Brisbane, Australie.
Les images de la semaine du 29 septembre 2025 : expositions et représentations
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye vous parlent de certaines des expositions du moment et de sujets qui...
05 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
La première photographie qui t’a marquée et pourquoi ? © Jenny Bewer
Billie Eilish, hasard et ambivalence : dans la photothèque de Jenny Bewer
Des premiers émois photographiques aux coups de cœur les plus récents, les artistes des pages de Fisheye reviennent sur les œuvres et les...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
The Wave, Jamaica, 2013 © Txema Yeste, courtesy of Galería Alta
InCadaqués 2025 : des images entre le vent et la mer
Du 9 au 26 octobre 2026, le village côtier de Cadaqués, en Catalogne, devient le théâtre du monde de l’image. Quarante photographes, en...
03 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger