Je me suis longtemps interrogé avant d’écrire cette chronique. Est-ce bien mon rôle ? Pourquoi la faire maintenant, et non plus tôt ou plus tard ? Est-il bien raisonnable de porter atteinte à la réputation d’un des plus grands photographes vivants ? Ne serait-ce pas à dessein que je me lance dans cette diatribe contre ce grand artiste qui va bénéficier d’une très belle rétrospective dans la galerie d’un autre magazine photo, en l’occurrence Polka ? J’aurais pu écrire cette chronique il y a déjà trois ans. Les informations que j’ai pu récolter étaient déjà établies. Et puis, il y a eu cette grande libération de la parole des femmes face aux gestes déplacés des hommes dans le milieu professionnel. Si le monde de la photo n’a pas été épargné – avec des accusations claires lancées contre Terry Richardson, Mario Testino et Bruce Weber –, c’est sûrement la dernière enquête très approfondie du Boston Globe parue mi-février accusant le Français Patrick Demarchelier de harcèlement sexuel par sept femmes, qui m’a interpellé. Un photographe de plus sur une liste de stars toutes liées au milieu de la mode. William Klein n’est pas sur cette liste. Est-ce qu’il mérite de l’être avec ses quarante années passées dans la mode, notamment au sein de Vogue ? Je n’ai pas assez d’éléments pour l’affirmer. Et puis, j’ai vu que le 19 avril prochain, le photographe américain aurait 90 ans. Ce qui est sûr, c’est que William Klein a déjà peloté plusieurs femmes qui passaient près de lui, sans leur consentement, ces dix dernières années. J’ai moi-même assisté à une de ces scènes lors d’un vernissage. L’immense artiste, arrivant sans prévenir, avec la notoriété de son talent et de sa carrière, a demandé de l’aide pour se déplacer. Mais en n’acceptant que l’aide des femmes. S’asseyant dans un large fauteuil, il prétexta de mal entendre pour demander à l’une de ses interlocutrices de s’asseoir sur ses genoux. Il entama alors une palpation corporelle très embarrassante qui finit par un geste de reculade franche de la part de l’intéressée, assez choquée, et des commentaires complaisants des observateurs : « Il est encore en forme pour son âge », couverts de rires gênés. Dans la foulée, je parlais de cette histoire à une connaissance du milieu photo qui m’indiquait avoir vécu la même situation, comme une autre de ses amies qui l’avait accompagné lors d’un voyage en train tournant au cauchemar tant le photographe avait essayé de la toucher. Ce que j’ai vérifié par la suite. Voilà ce que je sais de William Klein et des femmes. Rien de dramatique ? Ce n’est pas à moi d’en juger, mais ce qui est sûr c’est que je connais peu de femmes heureuses de subir des attouchements non consentis, d’autant plus quand l’auteur à plus de 80 ans. William Klein reste un artiste capital de l’histoire de la photographie. Peut-être que durant quatre-vingts ans il a été irréprochable avec les femmes, et que le fait de devenir octogénaire lui a faire perdre ses repères. C’est peut-être le cas. Quoi qu’il en soit, je n’enverrai jamais une journaliste de la rédaction, une amie ou n’importe qui d’autre d’ailleurs passer du temps avec ce monsieur. Je ne juge pas une vie, mais son épilogue qui n’est pas acceptable. Et dans la mesure où je peux en parler, je le fais pour ne pas en devenir le complice.
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