Avec son livre Luminescences, paru aux Éditions Hartpon, Lucie Pastureau explore un domaine bien connu des arts, l’adolescence. Dans une démarche de recherche originale et expérimentale, elle révèle un travail sensible sur l’identité. Autopsie des corps en pleine mutation.
« L’adolescence ne laisse un bon souvenir qu’aux adultes ayant mauvaise mémoire ». Cette affirmation du réalisateur français François Truffaut est évidemment une évocation de son propre passé. Pourtant, cette phrase résonne pour nombre de personnes qui ont vécu cette période à la fois charnière et intime. Si elle est commune à tous, personne ne l’a traversée de la même façon. Les difficultés rencontrées par une frange de cette jeune génération l’obligent dans certains cas à chercher de l’aide. C’est le rôle de certains services hospitaliers accueillant uniquement des adolescents. L’Hôpital Saint-Vincent de Paul, à Lille, dispose d’un tel département. C’est dans le cadre d’une résidence artistique que Lucie Pastureau fait la connaissance de Guillaume Darchy, cadre éducatif de cette unité spécialisée. Il la guidera dans cet univers inconnu pour la photographe.
Bénéficiant d’une carte blanche dans le service, elle pénètre alors un monde singulier aux multiples règles. « Il y a eu beaucoup de contraintes, se souvient-elle. Les relations sont très hiérarchisées, les emplois du temps et les horaires stricts. Sans compter que nous sommes dans un lieu fermé, en quasi-huis clos. Cela m’a aussi permis et donné des limites à mon projet, de le resserrer. » Par ailleurs, elle doit se confronter à des éléments techniques qu’elle n’avait pas tout de suite envisagés, et qui vont influencer sa pratique. « Au départ, précise l’artiste, j’ai travaillé en argentique. Le problème, c’est que les lumières de l’hôpital sont terribles. Il n’y a pas d’ombre. Je trouvais mes photos affreuses. » Comment alors, faire émaner l’intériorité de ses sujets dans de telles conditions ? Lucie Pastureau va penser à des solutions pour le moins originales.
Ouvrir des horizons
Pour appréhender son sujet, et pour que les jeunes et l’équipe médicale se l’approprient, Lucie Pastureau n’a pas utilisé son boitier pendant plusieurs jours. Elle a erré dans les couloirs, passé du temps dans la salle de repos, partagé les jeux et les repas, discuté beaucoup. Le déclic est survenu lorsqu’une patiente est venue à sa rencontre. « C’était une fille en surpoids qui désirait que je la prenne en photo comme je le ferais pour une mannequin. Elle a tenu à ce que l’on voit son visage, et a assumé le résultat. C’est à ce moment-là que mon travail a vraiment commencé. » Peu à peu, la photographe se fait une place. Elle est acceptée. Mais les inconvénients de cette lumière artificielle, presque clinique subsistent. Très vite et presque par accident, une alternative salvatrice s’impose à elle. Elle va utiliser les négatifs de ses images. « L’idée m’est venue après avoir vu le négatif des bras scarifiés d’une des jeunes filles que j’ai photographiée, confie Lucie Pastureau. La lumière semblait jaillir d’elle, comme un révélateur de l’invisible. »
Par un autre hasard, sa façon d’aborder son sujet va encore évoluer. Alors qu’elle est en plein processus de réalisation de Luminescences, la NASA ouvre au public une partie de sa banque d’images. Des milliers de clichés d’étoiles, de planètes, du cosmos, deviennent donc libres de droits. « J’y ai vu une opportunité de recoller à mon idée première : représenter ces états de mutation comme des corps extra-terrestres. C’était aussi l’occasion de faire un contre-pied esthétique à ces endroits fermés (bien que non verrouillés) que sont les services à l’instar de celui-ci. » C’est à ce moment que Lucie Pastureau choisit, une fois de plus, d’utiliser une nouvelle technique photographique bien connue : la superposition. Aux portraits de cette jeunesse en souffrance, elle applique un infini qui ouvre des horizons, peut-être un imaginaire. Un ailleurs là où il n’y en a pas toujours. Elle offre une forme de matérialité emprunte d’espérance à une génération qui se cherche.
Un monde étriqué
À la lecture des pages de ce recueil, une autre particularité peut surprendre. Dans les portraits qui nourrissent Luminescences, à part quelques rares exceptions, n’apparaissent que des filles. La photographe l’explique ainsi : « La population des Unités de Santé pour Adolescents est essentiellement féminine. On peut l’analyser par le fait que les pathologies dont souffrent les filles déclenchent des violences principalement tournées vers elles-mêmes. Pour les garçons, cette violence se dirige plutôt vers les autres. Ils sont plus couramment pris en charge par la justice. » Les premiers messagers de ces maux de l’âme, qui peuvent attaquer la chair, sont souvent les parents. Ils interviennent comme des passeurs auprès de ces mineurs en quête d’une part de bonheur, ou simplement de compréhension.
L’artiste a désiré transmettre ce qu’elle a vécu. Elle a souhaité joindre à la présente publication un petit livret. À l’intérieur, l’auteure a griffonné des phrases issues du carnet dans lequel elle a inscrit ce qu’elle a entendu. Ces fragments sont nombreux. Ils ont notamment été présentés lors de l’exposition qui a précédé cette édition. L’un d’eux est mis en exergue dans le livre : « Je me suis réveillé, j’étais comme ça sur la planète, comme un géant échoué ». Pour Lucie Pastureau, cette effraction poétique résumerait bien ce qu’est Luminescence. Une chronique sur le quotidien d’êtres qui essayent de se faire une place dans un monde étriqué. Dans une époque où les différences se jugent au détriment de l’autre.
© Lucie Pastureau