Passionné de basket depuis l’enfance, Kevin Couliau a fait de ces espaces de jeu un terrain d’expérimentation artistique et personnel. Dans Blacktop Memento, le photographe rend hommage à la discipline et se livre à une exploration archéologique de la mémoire et des lieux.
« Les interminables heures passées sur l’asphalte rugueux n’ont pas seulement été les moments les plus amusants, les plus exaltés et les plus intenses de mon enfance, mais des moments que je chérirai à jamais. Aujourd’hui encore, mon esprit est rempli de fragments visuels de ces journées, du temps imprévisible, des nombreuses rencontres, des rires, des parties perdues, des disputes, des moments forts et des victoires. Pourtant, le souvenir le plus vif est ce sol rugueux sur lequel je marchais chaque après-midi »
, se rappelle Kevin Couliau en préface de Blacktop Memento. Dans ce premier ouvrage, le photographe nantais a tenu à rendre hommage à ce souvenir du bitume, si cher à son cœur. Cette surface, « impitoyable pour [ses] genoux, [ses] semelles et [ses] coudes », a aussi façonné son être et ses impressions du monde alentour.
Au cours de ces quinze dernières années, Kevin Couliau s’est ainsi adonné à une véritable étude archéologique. À cet effet, il a sillonné le monde à la recherche de terrains de basket, établissant une cartographie tout à fait singulière, retranscrite en fin d’ouvrage. Une fois sur place, cet explorateur de réminiscences saisit toujours quelques échantillons de ces territoires, relevés grâce à son appareil. Au total, ces étonnantes archives consignent un ensemble de 76 clichés ou fragments d’érosion. De là surgit alors une narration visuelle inattendue et pourtant prévisible. Si ces espaces s’inscrivent comme des lieux communs de la photographie contemporaine, c’est notamment parce qu’ils habillent nos paysages urbains et accueillent les souvenirs de chacun. L’athlétisme et les loisirs ont toujours participé à l’expérience humaine.
Une multitude de mémoires qui se croisent
À l’image de la mémoire inexacte, le macadam se dégrade au fil des jours. Le passage des uns et des autres, nos chutes et nos rebonds inlassables, les altèrent et leur confèrent une forme nouvelle. Les lignes s’estompent et se confondent enfin dans un mouvement lent et imprécis. L’œuvre des ans pare alors nos souvenirs de motifs et de couleurs réinventées au gré de nos volontés. Dans Blacktop Memento, les aspérités, les sillons et les nuances – sculptées à mesure que l’être et la matière s’entrechoquent – se réorganisent selon les teintes de jaune, de cyan et de magenta. Enfouie dans un fourreau de béton, une confusion temporelle s’opère ainsi. Elle laisse place à toute une réflexion sur ces espaces d’hier et de demain.
« Les fissures racontent des histoires », souligne à juste titre Jesse Washington dans l’avant-propos. Ces compositions carrées figurent autant d’abstractions que de portraits polymorphes et sans hommes. Seules des traces de leur existence subsistent çà et là. Elles en disent long sur celles et ceux qui ont traversé ces terrains sans jamais les nommer. La surface de jeu devient dès lors un musée à ciel ouvert où se superposent d’invisibles chimères. Spectres d’époques inconnues, elles sont là, partout, sans que nous puissions les entendre ni les lire. Pareils à des palimpsestes d’un nouveau genre, les tirages de Kevin Couliau donnent à voir les déclinaisons de réalités qui sont les nôtres. Pourtant, à la fois personnels et universels, ils témoignent également d’un tour de force remarquable. Car avec cet ouvrage, l’auteur parvient finalement à convoquer la multitude de mémoires qui se croisent et s’entremêlent chaque jour.
Blacktop Memento, Fragments of erosion, autoédition, 162 p.
Kevin Couliau présentera son ouvrage au stand Asphalt Chronicles de la Arles Book Fair jusqu’au 6 juillet 2022.
© Kevin Couliau