Histoire des femmes, un siècle d’images (1/2)

10 février 2023   •  
Écrit par Anaïs Viand
Histoire des femmes, un siècle d’images (1/2)

Dans un ouvrage conséquent, Agnès Grossman rassemble et légende plus de 300 images de l’agence Roger-Viollet. Plus qu’un déroulé chronologique, Une histoire photographique des femmes au 20esiècle offre un précieux ensemble d’archives relatives aux droits des femmes. Une chronique historique dont nous vous livrons aujourd’hui la première partie.

« En 1900, la femme est placée sous la tutelle de son père ou de son mari. Elle est considérée comme une mineure et doit demander l’autorisation pour presque tout. Le monde appartient alors aux hommes considérés comme supérieurs aux femmes. Ils sont le sexe fort, elles sont le sexe faible. Le pouvoir et l’espace public sont réservés aux hommes, la servitude et l’espace privé sont assignés aux femmes. L’ordre social de l’époque se fonde sur cette différence des sexes. Les hommes doivent conquérir le monde, les femmes doivent conquérir les hommes ». Le ton est donné. Une histoire photographique des femmes au 20e siècle retrace cent années de conquête. Les 300 images réunies par Agnès Grossman racontent la destinée de celles qui ont lutté pour la liberté : nos mères, nos grands-mères. Immersion dans cet album de famille, où la grande histoire embrasse la petite.

Encore régie par le Code civil de 1804, dit Code Napoléon, la société du début du 20e siècle prive la femme de tous droits juridiques. Concrètement, « la femme mariée ne peut ni voyager, ni étudier, ni travailler, ni disposer de son salaire, ni gérer ses biens, sans l’autorisation de son mari ». Selon l’article 1124 : « les mineurs, les femmes mariées et les débiles mentaux n’ont pas le droit de passer un contrat ». Épouses ou mères évoluent dans une société très patriarcale où l’ordre social repose sur le diktat du mariage  – le plus beau jour de leur vie. Et quand il tarde à venir, on célèbre la fête de la Sainte-Catherine, et on participe au bal de la dernière chance. Heureusement, des figures s’élèvent contre la servitude du mariage. L’ouvrage dresse notamment un joli portrait de Madeleine Pelletier. Née d’une famille pauvre, elle combattra toute sa vie pour ses idées féministes et socialistes. Elle préconise aux femmes le célibat afin de conserver leur liberté et pratique une virginité militante. Celle qui se promène en costume masculin a fondé la revue La Suffragiste en 1907. La place des femmes varie selon le niveau de vie. Dans les familles aisées, elle est au foyer tandis que dans le milieu ouvrier, les femmes n’ont d’autre choix que de travailler. Domestiques, travailleuses à l’usine, elles exercent d’autres petits métiers comme fleuristes, poissonnières, bouchère ou vendeuse de journaux. Il y a celles qui exercent des métiers d’homme aussi, comme Madame Decourcelle, la première conductrice de taxi, ô combien réprimée par la police ou des clients. Et puis, il y a les belles de nuit ou autrement dit, des « artistes de la luxure » qui utilisent leur charme pour reprendre le pouvoir, pour rétablir l’équilibre. Qu’il s’agisse de coucher pour réussir ou simplement de disposer de son corps comme elles l’entendent, plusieurs courtisanes ont connu la célébrité. Parmi elles, la Bella Otero – ses seins auraient inspiré à l’architecte du Carlton de Nice les deux coupoles de l’hôtel – ou encore Anne-Marie Chassaigne alias Liane de Pougy, sacrée la plus belle femme de son temps, bisexuelle et autrice des fameux Cahiers Bleus.

© Henri Manuel & Maurice-Louis Branger / Agence Roger-Viollet

© à g. Henri Manuel & à d. Maurice-Louis Branger / Agence Roger-Viollet

Parenthèse patriotique

Il faudra attendre 1880 et la création des collèges et lycées publics laïques pour filles pour que les jeunes femmes puissent accéder au secondaire. Et l’instruction va de pair avec la revendication. Les associations féministes se développent et des initiatives fleurissent. Par exemple, le 26 avril 1914, en marge des élections législatives, un référendum sauvage se tient. La question ? : «  Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter un jour ? » La réponse est plus que claire : 505 972 bulletins disent « oui », contre 114 « non ».

Les années de guerre qui s’en suivent permettent aux femmes de prendre les commandes – 400 000 d’entres elles ont participé à l’effort de guerre en tant que munitionnettes, modélistes ou encore infirmières. Moins payées, le combat continue : elles doivent faire leur preuve et ne pas trop espérer – puisqu’il s’agit-là que d’une « parenthèse patriotique ». Mais toutes les femmes ne travaillent pas. Dans les campagnes, elles sont touchées de plein fouet par la misère – menant certaines d’entres elles à la prostitution – « il y a toujours cette idée forte qu’un homme a besoin de se soulager sexuellement, qu’il ne peut pas se contenir, et qu’il lui faut lui mettre des femmes à disposition pour assurer son équilibre ».

Les anges du foyer

Durant l’entre-deux-guerres et la politique nataliste et familiale, les « anges du foyer » ont la lourde tâche de repeupler le pays. Les rôles traditionnels sont renforcés. Quelques dates clefs : 1920 et la prime de natalité versée aux couples ayant au moins trois enfants (amorçant la loi de 1932 sur les allocations familiales) et la loi de 1928 annonçant la prise en charge des frais de grossesse et d’accouchement. En 1920, l’Assemblée nationale vote une loi interdisant la contraception et l’avortement, alors considéré comme un crime. En parallèle, nombreuses sont celles qui refusent de rester à la maison. En plus des usines, elles investissent le secteur tertiaire, en témoigne la multitude de photos de cours de dactylographie – dispensés en salle comme en extérieur. De plus en plus de femmes ouvrent les portes des milieux artistiques et intellectuels. Simone de Beauvoir, en 1929, donne l’exemple en obtenant l’agrégation de philosophie, classée deuxième au concours de sortie, talonnant Jean-Paul Sartre. Souvent destinées à l’enseignement, les cultivées « aux cerveaux encombrants » sont dévaluées sur le marché du mariage. Colette, Anna de Noailles pour la littérature, Gisèle Freund, Germaine Krull et Dora Maar pour la photographie ou Germaine Dulac et Alice Guy pour le 7e art parviennent tout de même à éviter la castration psychique…

 

Une histoire photographique des femmes au 20esiècle, Gründ, 37,95 €, 256 p.

© US National Archives / Roger-Viollet

© US National Archives / Agence Roger-Viollet

© Maurice-Louis Branger / Agence Roger-Violle

© Maurice-Louis Branger / Agence Roger-Violle

© Roger-Viollet / Roger-Viollet

© Roger-Viollet / Agence Roger-Viollet

© Roger Viollet & Excelsior - L'Equipe/ Roger-Viollet

© à g. Roger Viollet & à d.Excelsior – L’Équipe/ Roger-Viollet

Image d’ouverture © US National Archives / Agence Roger-Viollet

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