Fruit d’une résidence de plusieurs mois, Les jours couchés de Pierre Faure explore les environs de Chartres de Bretagne. Publié aux éditions Sur la crête, ce premier livre sonde les territoires oubliés et la jeunesse qui les vit.
« Nous savions que c’étaient des ruines. Nous le savions déjà, enfants. Quelque chose en nous, du moins, le savait. Mais nous préférions croire aux fantômes, c’était un choix plus raisonnable. Nous le savions quand ces paysages étaient encore les nôtres, quand ils n’étaient pas tout à fait des images, ces images qu’il suffit de regarder pour que tout nous revienne… » Ces mots ne sont pas ceux de l’auteur des photographies qui nous intéressent ici. Ils sont extraits du texte d’Hélène Gaudy qui épouse les images du premier livre de Pierre Faure, Les jours couchés. Plus qu’une mise en forme verbale, ces quelques lignes narrent un récit commun. Celui d’une adolescence dont l’avenir vient buter contre la réalité amère des territoires oubliés.
C’est vers ces endroits dont les enfants ne voient souvent de la France que le dos, que Pierre Faure a décidé de se tourner. Après avoir consacré ses premiers travaux aux exclus de notre société, notamment dans sa série Les Gisants, le photographe a décidé de parcourir l’hexagone, à la rencontre de cette masse d’anonymes. Un travail commencé avec sa série France périphérique. « J’ai constaté que la courbe de la pauvreté en France augmentait d’année en année, explique-t-il. Une pauvreté ancienne et à la fois nouvelle. C’est là que j’ai voulu m’intéresser à la condition des classes populaires et moyennes. » Il lui fallait alors quitter les grandes villes. Après avoir exploré le Var, l’Auvergne ou encore les Hauts-de-France, c’est à Chartres de Bretagne qu’il s’arrête durant les derniers mois de 2019 à l’invitation de la galerie Carré d’Art.
Une effraction dans les songes
Pierre Faure n’est pas urbaniste, pas plus que sociologue. Il n’y a aucune volonté de documenter stricto sensu les lieux ou d’établir un portrait type de ses habitants. « Je voulais juste partir à la découverte du territoire et de sa jeunesse, confie-t-il. L’idée n’était pas d’en rendre compte scrupuleusement, mais d’en dégager une ambiance. Je ne suis pas un artiste non plus. Je ne conceptualise pas, je recherche simplement une esthétique. » Et cette beauté, il la trouve. Elle arrive là où on ne l’attend pas, où personne n’attend rien. D’ailleurs, où sommes-nous sur la carte ? Dans l’immobile des zones pavillonnaires, où le quotidien est une effraction permanente dans les songes. « J’aime ces zones où on ne sait pas si c’est en construction ou en phase d’être détruit. Il y a une résonance avec la période que vivent ces jeunes », confie-t-il.
Des corps et des murs s’évaporent l’essence de ce que pourrait être une vie rêvée. Dans les portraits de Pierre Faure, la jeunesse a l’air perdue, presque résignée. Mais avec un minimalisme où la dureté des formes côtoie des paysages noyés dans la brume, le photographe lui donne un visage. Quelque part, il la réhabilite. « Ça n’a pas été tout de suite évident de trouver des adolescents qui acceptent de se faire photographier, admet-il. Mais dès le début du projet, il me fallait de l’humain. Ces jeunes participent à l’identité de la région. » Si là où son regard se porte, il ne semble pas y avoir d’horizon, l’auteur des images l’interprète ainsi : « L’abandon, dans l’esprit de la jeunesse est comme intériorisé, intégré. Ils pensent qu’il n’y a pas de projet politique qui les sauvera. »
Les clés d’une évasion
Ce désarroi, Pierre Faure l’a connu : « Je ne vois pas trop la solution pour cette masse de diplômés dont nous n’avons pas besoin. Déjà à mon époque, se souvient-il, il n’y avait plus de place. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les choses ne se sont pas arrangées. » C’est sans doute pourquoi il manifeste une tendresse évidente devant cette génération plus livrée à elle-même qu’assistée. Il faut dire que peu de choses leur auront été épargnées. La situation sanitaire dont souffre le monde, certes, mais aussi un chômage endémique. Et c’est sans compter la montée des extrêmes qui voient en eux un vivier électoral (souvenons-nous des « invisibles et oubliés de la République » convoqués à chaque meeting par la présidente du Front National en 2017).
Longtemps boudée par ses contemporains, cette France se fait de plus en plus une place dans l’art et la littérature (on peut évoquer par exemple Sérotonine, de Michel Houellebecq, entre autres…). Les mutations profondes qui s’annoncent leur ouvriront-elles le champ des possibles là où la mondialisation n’a pas tenu toutes ses promesses ? Rien n’est moins sûr. En attendant, les Jours couchés de Pierre Faure leur rend un hommage sensible et offre à chacun les clés d’une évasion par l’image. Des retrouvailles avec une France qui pourrait être d’un autre temps, mais qui est pourtant si actuelle.
Les jours couchés, éditions Sur la crête, 25 €
© Pierre Faure