Dans Borders of Nothingness —On the Mend, Margaret Lansink illustre les retrouvailles avec sa fille. Un livre bouleversant où la photographe hollandaise utilise des métaphores artistiques pour livrer son récit familial.
En juillet 2018, aux Rencontres de la photographie d’Arles, Fisheye découvrait le projet poignant Borders of Nothingness. Une série noir et blanc, dans laquelle Margaret Lansink expose ses émotions face à la perte de contact d’un être cher, sa fille. L’histoire continue et prend désormais la forme d’un deuxième opus : Borders of Nothingness – On the Mend. Rencontre intime avec Margaret Lansink.
Fisheye : Photographe, mère, artiste, plasticienne, qui es-tu ?
Margaret Lansink : Il y a une image de moi à 12-13 ans avec un appareil photo à la main. Déjà à cet âge, j’étais la “photographe” de mes amis et cela n’a jamais vraiment quitté ma vie. Quand mes enfants ont grandi, je suis revenue à une approche du médium plus professionnelle, en travaillant pour un journal régional. En 2010, j’ai suivi des cours de photo afin de recevoir une formation plus solide. Sinon, je suis avant tout ouverte d’esprit et chaleureuse. Je suis constamment à la recherche du côté positif de la vie.
Comment est né ton projet Borders of Nothingness ?
À un certain moment, ma fille aînée a décidé de suspendre tout contact avec moi. Le chagrin s’est éveillé au cours d’une résidence d’artiste au Japon, j’ai eu du mal à le gérer. Alors, j’ai sorti mon appareil photo pour y faire face. J’ai créé des images non pas à partir du chagrin, mais plutôt à partir de l’amour que je ressentais pour elle en tant que mère. C’est de là que vient le titre de la série, Borders of Nothingness. J’étais sûre que nous nous retrouverions quelque part, d’une manière ou d’une autre.
Que s’est-il passé ensuite ?
Nous avons fini par nous retrouver. J’ai passé en revu les précédentes images, je les ai déchirées et rassemblées dans de nouveaux collages comme autant de nouvelles impressions de ces souvenirs pour elle. J’en ai fait un livre, Borders of Nothingness — On the Mend. J’ai ajouté au titre « En voie de guérison », il s’agit d’une suite, je voulais qu’elle soit positive. Cet ouvrage est le reflet de la relation avec ma fille au cours des cinq dernières années.
Cet ouvrage dévoile une partie très intime et douloureuse de ta vie. Est-ce un remède pour toi ?
Je ne peux photographier que ce qui me touche ou du moins ce qui me tient à cœur. Mes séries sont souvent le fruit de mes propres combats, dans lesquels j’essaie de donner au résultat final un caractère plus universel.
Tu utilises un procédé d’art plastique précis pour effectuer des brisures dorées. Que signifient-elles ?
Les craquelures dorées sont inspirées de la philosophie japonaise de Kintsugi. C’est une forme d’art qui consiste à réparer des céramiques fissurées à la feuille d’or. Non pas pour cacher les cicatrices, mais pour souligner le pouvoir de guérison. J’ai trouvé que c’était une façon frappante de dire que mes souvenirs n’étaient plus les mêmes, et qu’à partir des cicatrices, quelque chose de beaucoup plus beau apparaissait.
Quel visuel peut résumer l’entièreté de ce projet ?
L’image « You » est ma préférée. Ma fille me regarde, et en même temps, j’ai l’impression qu’elle n’est pas vraiment là. Cette ambiguïté ne cesse de m’intriguer. Chaque fois que je vois l’image, je pense à quelqu’un qui est physiquement présent, mais déjà mentalement loin. Il y a quelque chose derrière son regard.
Tes combats personnels constituent-ils tes seules sources d’inspirations ?
Je suis très inspirée par les photographes asiatiques et par l’art et le design japonais en général. Je me sens très attirée par leur tranquillité et leur minimalisme. Et j’aime beaucoup également l’artisanat. En tant que fille de menuisier, j’ai appris dès mon plus jeune âge à créer des choses de mes propres mains. J’aime aussi me promener dans les musées pour voir les maîtres du passé. Je suis amoureuse de la plupart des œuvres de Gerhard Richter et de Lucian Freud. J’ai été totalement submergée par les œuvres antérieures de Pablo Picasso. Mais aussi, lorsque je me laisse complètement immerger dans la nature, mon imagination bouillonne. J’ai alors le sentiment qu’elle est ma mère et cela me touche très profondément.
Comment les lecteurs perçoivent ta série ?
Ils sont très rapidement touchés. Pour l’anecdote, j’exposais ma série pour la première fois à Arles en 2018. À plusieurs reprises, des femmes sont entrées dans la galerie, ont vu les images et, sans lire le texte, se sont mises à pleurer parce qu’elles avaient « senti » le message.
Quel est ce message ?
Embrassez l’incertitude, elle est là. Elle va et vient, donc si vous pouvez vivre avec le flux de la vie, la vie elle-même deviendra plus facile. Et essayez de faire tout ce que vous faites dans une perspective d’amour et de soin.
Borders of Nothingness —On the Mend, The (m) éditions, 96p. (300 exemplaires numérotés à 70 euros et 30 exemplaires signés, numérotés, accompagnés d’un collage sur un papier Kinsuki Washi fait main avec 23ct. de feuille d’or à 270 euros)
© Margaret Lansink