Dans Rebels, Philippe Chancel fait la part belle à « une jeunesse de France » longtemps relayée à la marge. À l’image, des êtres au sortir de l’adolescence se réunissent en bandes pour assouvir une quête de reconnaissance. Entre moments de joie et de trouble, toutes et tous semblent préservés d’une conjoncture économique et sociale pourtant loin de leur être favorable.
« Cette capsule temporelle scande à mes yeux le firmament de mes nuits blanches dans ce Paris interlope du début des années 1980 pris à la marge de ce qu’il avait de plus sauvage et de plus intense. Il fallait y croire pour le voir. La photographie apparaissait alors pour moi comme une possibilité fragile d’incarner ce qui ne pouvait pas être raconté autrement », confie Philippe Chancel à la toute fin de Rebels, son dernier livre paru aux éditions The Jokers Publishing. Au fil des 126 pages se profile une jeunesse métissée qui s’épanouit selon ses propres règles dans le tumulte d’une société en pleine mutation. Depuis la crise pétrolière de 1979, les Trente Glorieuses ont définitivement tiré leur révérence, ouvrant la voie au chômage et à l’ascension du Front national. Une conjoncture peu encline à réaliser le rêve d’intégration, de multiculturalisme et d’égalité porté par la gauche de François Mitterrand, tout juste arrivé au pouvoir. À l’instar des rebelles exaltés qu’il capture, une grande partie des clichés auraient pu rester dans l’ombre. L’élaboration d’un tel ouvrage est le fruit des encouragements de Valérie Weill Chancel, l’épouse de l’artiste, convaincue de la justesse et de la pertinence des archives.
La mixité culturelle contre la fracture sociale
Dans ce contexte nébuleux, le jeune photographe alors âgé d’une vingtaine d’années cherche un sens à son existence à travers celle des autres. Le hasard de cette quête le pousse à s’immiscer au sein des Del Vikings et des Black Panthers, deux bandes de rebelles de tous horizons, grandement inspirés des États-Unis, des mouvements de protestation et de la culture rockabilly des années 1950. Si son entreprise ne relève pas de l’évidence – d’autant plus qu’il refusait catégoriquement de choisir son camp –, elle se solde par une réussite. Au cœur de fêtes improvisées ou dans les rues parisiennes, une déclinaison de moments de liesse s’entrecoupe de conflits plus ou moins véhéments. Les jeunes dansent, s’embrassent, s’habillent comme bon leur semble, se toisent du regard, s’affrontent et se retrouvent, encore et encore. À l’image de cette énergie brute, Philippe Chancel documente des instants de vérité d’une jeunesse à fleur de peau, qui ne demande qu’à s’émanciper.
« Les Del et les Panthers étaient majoritairement des garçons, mais les filles n’étaient pas cantonnées à une position de spectatrices, renseignait le photojournaliste à l’occasion d’un entretien donné pour Huck Magazine, consigné en début d’ouvrage. Radieuses et convoitées, elles étaient à la fois les enjeux et les causes de rivalités amoureuses au sein des deux bandes. Elles voulaient par ailleurs s’affranchir des codes en vigueur en remettant en jeu les conventions habituelles d’attachement au mâle dominant. » Ses tableaux monochromes, saisis sur « Kodak Tri-X, boosté par [son] flash », illustrent efficacement le récit d’individus issus des classes ouvrières qui célèbrent leurs idéaux, à savoir une mixité culturelle qui s’oppose à la fracture sociale annoncée par le FN. Ils ont également aidé Jimmy Laporal-Trésor à la réalisation des Rascals, long-métrage – qui sortira en salles le 11 janvier prochain – qui retrace l’histoire des bandes à l’origine du mouvement Antifa.
Rebels, une jeunesse de France, édition The Jokers Publishing, 136 p., 60 €.
© Philippe Chancel