Avec Réparer l’intime, L’Atelier de la Maison des Femmes, les artistes Louise Oligny et Clémentine du Pontavice signent un recueil de témoignages bouleversant. Ponctué par des photographies puissantes, des textes descriptifs et des éclairages signés par la doctoresse Ghada Hatem, ce livre est une ode à la résilience des femmes violentées.
« Je vous laisse vagabonder au fil des pages, admirer photos et dessins, et découvrir des histoires de vies marquées par la violence mais qui témoignent de l’incroyable vitalité et du courage immense dont ont fait preuve ces femmes, nos guerrières, nos héroïnes ».
C’est en ces quelques lignes, tirées de la préface que la doctoresse Ghada Hatem, créatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis (93), nous plonge dans Réparer l’intime. Réalisé par Louise Oligny et Clémentine du Pontavice, respectivement photographe et illustratrice, cet ouvrage retrace, pas à pas, l’évolution de leur atelier artistique aux vertus thérapeutiques. L’objectif de ce dernier ? Réunir des femmes victimes de violence, chaque semaine pendant deux heures, autour de confection de bijoux, de dessins et de photographies − une fois parées de leur créations, les participantes passent devant l’objectif, pour finalement redessiner leur portrait à l’aide d’un papier calque −. Retour sur la genèse de ce projet hautement symbolique.
Tout commence en 2017, alors que les deux créatrices lancent leur première session artistique en mars, qui instantanément les bouleverse. Déjà, en 2019, Anaïs Viand – rédactrice en chef de Fisheye – avait participé à un de ces évènement et y avait ressenti toute la force, la cohésion et la bienveillance. En tournant les pages du livre, ornées de photographies tendres et incisives, de poèmes crus, de témoignages et d’échanges poignants, d’illustrations sublimées par des bijoux, on vit nous aussi l’expérience de l’atelier, aux côtés de ces femmes, aux origines et âges confondus, que la vie et les hommes n’ont pas épargnées. Néanmoins, de ces marques indélébiles, portées par l’excision d’une femme mariée de force, de ces traumas, causés par les mots acerbes d’un mari violent, apparaissent, derrière l’œil rassurant de la photographe, des sourires, des pupilles scintillantes et des rires : « Apatrides, seules, isolées, obligées d’abandonner leurs enfants, mutilées, torturées, violées, battues, et pourtant voilà qu’elles sourient. Osent être belles, être ces femmes de magazine », clame Louise Oligny.
© Louise Oligny
L’acte créateur : un acte salvateur
Emprise, maltraitance conjugales, fuites, excision, tortures… Autant de violences abordées avec une empathie désarmante. En filigrane, le recueil suit également l’évolution des participantes au sein des ateliers de création. On découvre ainsi la démarche complémentaire du duo. Ici, l’acte créateur permet aux femmes de s’accorder un moment en harmonie avec le corps et l’esprit, et les aide à se ré-approprier leur féminité. Ce qui fait art dans ce livre, c’est véritablement le cheminement créatif qui y est dévoilé : celui qui part de l’intime, qui oblige à quitter l’intellect et son passé rongeur pour revenir au faire, et enfin retrouver du réconfort, de la confiance. On comprend finalement qu’il n’y a pas que les mots capables de panser les maux. Se nichent en ces femmes des blessures si profondes qu’elles en sont devenues indicibles, mais en revenant au concret, elles réussissent à les voir sous un autre angle : elles ne sont plus simplement des victimes, mais deviennent des conquérantes.
Dans cet espace de confiance totale, en harmonie avec les sensibilités de chacune, toutes se découvrent et s’apprivoisent. « Je leur ai accordé toute ma confiance et je les ai regardé faire avec beaucoup de bienveillance. Je les ai accompagnées individuellement à fabriquer, à se regarder, se dessiner, et enfin, je l’espère, à se respecter et s’aimer en tant que sujets », confie Clémentine du Pontavice. Au fil des pages, on aperçoit, entre la cruauté de certains récits, des femmes renaître et rayonner, malgré un passé où toute joie et légèreté leur ont été arrachées. Réparer l’intime s’impose comme le témoin d’un périple féminin, d’une marche vers la guérison et la reconstruction. Il nous invite, pour reprendre les mots de Ghada Hatem, à « ouvrir (nos) yeux, (nos) oreilles et (nos) cœurs » sur ces femmes : nos sœurs d’une autre mère, nos filles d’une maison voisine, à qui nous tendrons la main au moindre appel à l’aide.
Réparer l’intime, l’Atelier de la Maison des femmes, aux Éditions Thierry Marchaisse, 25 €, 207 p.
Image d’ouverture © Louise Oligny