Coincé à New York lors du premier confinement, et en convalescence suite à une maladie, le photographe américain Carlos Jaramillo réalise un zine, intitulé ROC. Une série contemplative illustrant son retour au 8e art, et à la vie.
Baigneurs solitaires, ombres chinoises de pêcheurs, jeunes venus festoyer le temps d’un week-end… Dans ROC, le photographe texan Carlos Jaramillo fait le portrait mélancolique de Rockaway Beach, plage du Queens, à New York. En noir et blanc, alternant natures mortes symboliques et portraits, il dépeint un univers doux, hors du temps.
C’est à l’université que l’artiste se passionne véritablement pour le 8e art, après avoir expérimenté avec un boîtier compact, lors de sorties skate avec ses amis. « L’un de mes professeurs m’avait présenté la photographie comme un chemin de carrière possible. Les arts n’avaient jusque là jamais été considérés comme un choix potentiel, encore moins comme une manière de gagner sa vie », se souvient-il. Privilégiant une approche « lente et romantique » du médium, Carlos Jaramillo aime prendre le temps de soigner ses compositions. Introspectif, il cherche à interagir avec l’image, à imaginer son propre récit – et invite le regardeur à faire de même. « Un défi difficile à réaliser compte tenu de la quantité de photos qui inondent les réseaux sociaux », précise-t-il.
Un entre-deux hors du temps
C’est durant une période difficile que le photographe débute ROC. « En janvier 2019, j’ai appris que j’avais un cancer, et que je devais subir une opération pour enlever ma tumeur. C’était la pire période de ma vie. Un an plus tard, la pandémie survient, et je me retrouve coincé à New York, sans rien à faire. Par pur ennui, j’ai repris mon appareil, et j’ai commencé à photographier ma maison et mon voisinage. C’était la toute première fois depuis mon hospitalisation », raconte-t-il. Rockaway Beach, ses plages et ses passants deviennent alors un refuge pour l’auteur, qui voit en ce lieu un nouveau départ, une nouvelle source d’inspiration. Contemplatif, ROC se lit comme un récit entremêlant passé et présent pour construire un entre-deux hors du temps. Dans les images de Carlos Jaramillo, les matières s’estompent, les contours deviennent flous. Monochrome, la série est baignée par une lumière délicate, des gris presque chaleureux, qui adoucissent les contrastes et effacent les émotions négatives. « Je voulais donner à cette série une esthétique bien particulière, inspirée par mes premières photos. À l’époque, j’allais développer mes pellicules dans un endroit pourri, qui utilisait de vieux produits chimiques – j’étais fauché et ce lieu était le moins cher. Pour cette raison, mes photos sortaient floues, et possédaient une sorte d’aura brillante », confie l’artiste, qui a souhaité, pour réaliser son zine, retrouver cette particularité.
Et dans cet univers vaporeux, certaines récurrences émergent – comme la symbolique des poissons. « J’ai toujours été un fan de Bernd et Hilla Becher et de leurs études architecturales, et j’ai eu envie de leur rendre hommage. Je pense que chaque poisson évoque un détail de mon passé, une émotion provoquée par mon cancer. Certaines métaphores sont évidentes – le poisson congelé représente par exemple l’hiver new-yorkais et ma frustration d’en être prisonnier », explique l’auteur. Comme des flambeaux brillant dans la brume, ces natures mortes guident nos pensées, rythment notre méditation. Véritable ode à la vie, ROC est un melting pot de doutes et de sensations. Une manière originale d’encapsuler « la beauté, la religion, la peur, la mort, l’amitié, l’amour, l’espace, la vulnérabilité et la photographie », conclut l’auteur.
ROC, autoédité, 20$, 40 p.
© Carlos Jaramillo