Les éditions Stanley/Barker publient Son, réédition de l’ouvrage de Christopher Anderson, paru pour la première fois en 2013. Imaginé en deux chapitres, le livre réunit les premières images d’Atlas – le fils du photographe – et des portraits plus récents. Une suite aussi splendide que touchante.
Par la fenêtre surplombant New York ou Paris, sur les corps nus, décontractés des membres de sa famille, le long des meubles, des fruits, de la vie qui occupe l’espace confiné, la lumière éclaire l’intimité de Christopher Anderson. Le photographe américain peint, avec une aise impressionnante, les nuances de son existence, de son propre espace. Il fait de Son un huis clos splendide, un havre de paix au cœur duquel évoluent les êtres, les jours, les sensations. C’est en 2000, dans le cadre d’une commande pour le New York Times, que l’artiste se fait connaître : à bord d’un bateau regroupant 44 réfugiés haïtiens, il capture leur étrange résignation, tandis que leur navire de fortune commence à couler. Une série poignante qui lui vaut le Prix Robert Capa Gold Medal. Envoyé aux quatre coins du monde, il pose sur les zones de conflit son regard singulier, et devient, en 2011, le premier photographe en résidence du New York Magazine. Un titre qui marque un premier tournant dans sa carrière : des guerres et des tensions, il se tourne vers le monde de la mode et du portrait.
En 2008 naît Atlas, son fils. Un bouleversement qui pousse Christopher Anderson à tourner son objectif vers son propre quotidien, pour documenter l’évolution de son enfant. « Ce geste m’a semblé normal, en tant que père. Sur le coup, je ne l’ai pas relié à mon statut de photographe. C’étaient deux choses différentes. Après environ deux ans de paternité, j’ai soudain réalisé que c’était cela, mon travail. Tout le reste m’avait préparé à réaliser ces images », confie-t-il.
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Publiée par Stanley/Barker, la nouvelle version de Son propose au regardeur une suite de l’édition d’origine. Aux premiers pas d’Atlas, quarante images sont ajoutées, proposant une fuite vers le présent, une immersion dans l’évolution du garçon, dans l’harmonie d’un couple, dans la fusion d’une famille. « Si j’avais déjà essayé de rééditer tout mon travail, je n’étais jamais satisfait. Les images du premier livre semblaient perdre cette sensation d’urgence qu’elles possédaient alors. Nous avons donc décidé de garder intacte cette première partie, et d’y ajouter un second chapitre », explique le photographe.
Baignées par une lueur chaude, rassurante, les images se savourent. Ancrées dans un décor à la splendeur ordinaire, elles transcendent leur statut d’empreintes visuelles et offrent au lecteur une plongée dans un récit familier. Il nous semble, en contemplant ces instants précieux, ces scènes quotidiennes, sentir les odeurs d’un foyer, entendre les éclats de rire, ou somnoler, bercés par la chaleur d’un soleil, un dimanche après-midi. C’est un plaisir doux, un écrin précieux qui charme par sa simplicité – à l’image de l’approche de l’artiste : « Je réalise que je réponds à la lumière, à la couleur d’une manière spécifique, mais je ne saurais pas exprimer comment ni pourquoi. Tout est instinctif. Il s’agit d’être attiré par quelque chose, plutôt que de le rechercher, ou de le prévoir. Je ne sais pas voir autrement », précise-t-il. Une autre manière de raconter des histoires, auquel l’auteur a pris goût. « Cette expérience m’a libéré de l’acte d’expliquer. Elle m’a appris à réagir à mes propres expériences plutôt que d’essayer de faire de belles photos », ajoute-t-il. Vie et mort, immortalité et vulnérabilité, joie et mélancolie… Dans Son, les émotions s’entrechoquent et tissent un conte nuancé, fait de sensations fortes, de dérives, de bonheur et d’inquiétudes – un conte célébrant la vie, dans toute sa multiplicité. Et, face à la beauté indéniable des clichés, on se prend à rêver à la nôtre.
Son, Éditions Stanley/Barker, 46€, 160 p.
SON © Christopher Anderson