Jusqu’au 6 mars, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme nous emmène dans les Voyages de mémoire de Patrick Zachmann. Une errance de 45 ans dans les chemins sinueux de la quête d’identité, illustrée en près de 300 clichés, qui fait également l’objet d’un ouvrage coédité par l’Atelier EXB et le mahJ.
Dès son ouverture, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme a eu à cœur d’intégrer le 8e art à ses collections temporaires ou permanentes. Pourtant, jusqu’à Voyages de mémoire, il n’avait encore jamais consacré la moindre exposition personnelle à un photographe vivant. C’est donc tout naturellement que l’institution a décidé d’y remédier en accueillant Patrick Zachmann. Une rétrospective qui va de soi – et qui s’accompagne d’un bel ouvrage coédité par l’Atelier EXB et le mahJ –, car l’artiste français est d’origine juive. Et cette seule condition a considérablement influencé son œuvre, de même que le regard qu’il porte sur le monde extérieur.
Les Voyages de mémoire de Patrick Zachmann ont commencé à l’aube des années 1980. Le jeune homme entamait alors une carrière de photoreporter, sans songer à devenir photographe à part entière. Mais c’était sans compter ce bienheureux concours de circonstances qui survient dans de nombreux projets, et qui a modifié sa trajectoire. Car sa démarche professionnelle – une enquête sur les Juifs de France – se superposait déjà parfaitement à une approche beaucoup plus personnelle. « Mes premières photos professionnelles, mon premier reportage, explique-t-il, c’était en 1979, et je croyais que ce travail ne durerait que le temps de publier un sujet dans un magazine. »
Pourtant, quelque chose l’attirait inéluctablement vers cette thématique, comme s’il s’agissait de sa destinée. « Lorsque j’apprends en 1981 que le premier rassemblement mondial des survivants de la Shoah doit avoir lieu à Jérusalem, je n’hésite pas », affirme-t-il. Tout au long de ses recherches, c’est un seul et même fil d’Ariane qu’il déploie dans les limbes des réminiscences. Il explore l’héritage familial, avant de s’aventurer aux confins des résurgences collectives. Une manière intime de témoigner de la malléabilité d’une mémoire pourtant essentielle à la construction de chacun d’entre nous. Aussi bien en tant qu’individu qu’en tant que communauté nationale ou religieuse.
« Salle Gaveau », Paris, 16 mars 1981
Un journal intime dans lequel beaucoup se retrouvent aujourd’hui
Pour les besoins de son enquête, Patrick Zachmann s’est aventuré dans les moindres couches du judaïsme français. Les Juifs oscillent entre deux extrêmes qui ne se rencontrent pas : orthodoxes – dans lesquels il ne se reconnaît guère – ou laïques. Comme pour faire table rase du passé douloureux, certains arborent fièrement leur origine tandis que d’autres préfèrent la diluer pour s’en défaire totalement. Une entreprise différente qui tend vers un même but et interroge l’artiste. Qu’est-ce qu’être Juif dans nos sociétés contemporaines ? L’est-on vraiment si l’on est déjudaïsé ? Au fil de ses pérégrinations se dessine alors une quête de soi au travers des autres, seule entrée possible vers un renouement avec ses propres racines.
Car le mutisme des traumatismes passés a éteint la foi et amenuisé l’héritage. Son père polonais ashkénaze tait la déportation qui a tué ses parents. Sa mère séfarade passe sous silence la misère de la colonisation de l’Algérie. « Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire. La photographie m’a permis de reconstituer les albums de famille que je n’ai jamais eus, les images manquantes devenant le moteur de ma recherche. Les planches contact sont mon journal intime », déclare-t-il. Un journal intime dans lequel se retrouve beaucoup de Juifs aujourd’hui, mais pas seulement.
Afrique du Sud, Chili, Rwanda, Hongrie, Algérie, Maroc ou bien Pologne… Patrick Zachmann a multiplié les voyages en terres inconnues. L’expérience juive l’a certainement sensibilisé aux problématiques de l’identité, de la disparition et de l’exil. Ou autrement dit, des thématiques inhérentes à ce peuple qui erre depuis l’Exode d’Israël hors d’Égypte. À mesure qu’il appréhendait son histoire personnelle, le photographe s’est ouvert à celle des autres. Car la reconquête des souvenirs perdus est perceptible dans chacune des nations. Elle n’a ni origine ni frontières, elle est universelle.
Voyages de mémoire, Atelier EXB, 39 €, 224 p.
« Soirée privée », Paris, 1981
« Mémorial de Yad Vashem », Jérusalem, 1981
« Autoportrait avec ma mère », Paris, 1983
À g. « Monsieur et Madame Friedmann », Paris, 1981, à d. « Cimetière de Bagneux », 1981
« Parc des Buttes-Chaumont », 1983
« Une photographie de ma mère datant des années 1940 »
« Prière, rue des Rosiers », Paris, 1979
© Patrick Zachmann / Magnum Photos