« Bodyfiction » : corps en (dé)construction

19 novembre 2019   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Bodyfiction » : corps en (dé)construction

Bodyfiction, ouvrage édité par le Mois européen de la photographie, rassemble 33 photographes autour d’un même thème. Une collection de récits visuels déconstruisant les représentations traditionnelles du corps humain.

Inspiré par le Mois de la photo, organisé pour la première fois à Paris par Jean-Luc Monterosso en 1980, le Mois européen de la photographie réunit plusieurs villes du continent autour d’un amour mutuel pour la photographie contemporaine. En 2013, Paris, Berlin, Vienne, Bratislava, Budapest, Luxembourg, Athènes et Ljubljana rejoignaient cette alliance, et le European Month of Photography (EMOP) installait son siège au Luxembourg. « Pour remédier à la difficile organisation d’un festival dans chaque pays, nous avons choisi de nous réunir tous les deux ans autour d’un projet commun, explique Thomas Licek, secrétaire générale, et ancien président d’EMOP. Bodyfiction marque la 7e édition. L’ouvrage est la pièce maîtresse de notre travail – il inclut tous les artistes, textes et photographies. »

33 photographes se donnent la réplique au cœur du livre. Des artistes sélectionnés par une équipe de curateurs passionnés. « Le corps et l’esprit de destruction », « Construire le corps », « Le corps et au-delà » … Divisé en chapitres, le livre présente une vision moderne du corps humain. Réunissant dimensions historiques, politiques et culturelles, il donne à voir un paysage photographique atypique et libéré, une collection de récits visuels passionnants, ponctués par les mots des curateurs. « Les thématiques englobent de nombreux domaines, des réseaux sociaux à l’intelligence artificielle », précise Thomas Licek. Entre essaie philosophique et carnet visuel, Bodyfiction fait la part belle à l’expérimentation.

© Balázs Máté© SMITH / Spectre Productions / Galerie les Filles du Calvaire 2016

©  à g. Balázs Máté, à d. SMITH / Spectre Productions / Galerie les Filles du Calvaire 2016

Interroger les statuts du corps

« La position artistique de ces photographes – qui sont pour la plupart des femmes – se détache des représentations traditionnelles du corps, en mettant de côté le nu et le glamour, pour se concentrer sur la fragmentation, la disruption. Une évolution influencée par un malaise croissant vis-à-vis des normes genrées, et un besoin d’interroger les statuts sociaux, fonctionnels, sexuels et culturels du corps »,

déclare Pierre Stiwer, curateur et auteur de l’introduction de Bodyfiction. Qu’ils privilégient une approche minimaliste, abstraite ou même dérangeante, les artistes s’inspirent tous de notre société : son culte de l’apparence et sa consommation de masse, mais aussi sa fragilité et ses souffrances. En jouant sur le rapport entre 8e art et réel, les auteurs construisent des fictions, des récits imagés plaçant l’être humain dans un monde fantasmé.

Alix Marie, par exemple, réalise des sculptures photographiques, imprimant des clichés de membres ou de peaux sur différents objets. « Elle proclame ainsi que le corps humain est une déconstruction, un détachement de l’âme, un accessoire à observer », précise Balázs Zoltán Tóth, l’un des curateurs d’EMOP. Dans l’une de ses séries, Les Gatiantes, l’artiste avait d’ailleurs apposé des images de vulve sur des écharpes en soie, interrogeant les pratiques sociales : pouvons-nous alors, toucher ces vêtements ?

Connue pour son travail au long cours The History of Misogyny, Laia Abril s’intéresse, dans Tediousphilia, aux couples vendant leur intimité sur Internet. En les capturant entre deux sessions webcam, la photographe souligne l’ennui et le désintérêt de ces performers, considérant leur nudité comme un simple moyen de transaction.

Weronika Gęsicka déconstruit quant à elle l’image idyllique de la famille des années 1950. En travaillant avec des photos d’archives, l’artiste bouleverse les codes d’une époque, encensant une femme soumise et un homme dominant. Ses collages numériques invitent le surréalisme dans une routine trop réductrice et créent une troublante uchronie. Entre désir et répulsion, les œuvres présentes dans Bodyfiction se veulent universelles. En empruntant au passé et en flirtant avec le futur – notamment grâce à la série H+ de Matthieu Gafsou – les photographes présentent un panorama réjouissant de la création moderne.

 

Vous pouvez commander Bodyfiction à l’adresse : hello@europeanmonthofphotography.org (prix : 29 euros + frais de port). 

© Katrin Freisager

© Katrin Freisager

© Annelie Vandendael© Weronika Gęsicka

© à g. Annelie Vandendael, à d. Weronika Gęsicka

© Aneta Grzeszykowska

© Aneta Grzeszykowska

© Zuzana Pustaiová© Anna Horčinová

© à g. Zuzana Pustaiová, à d. Anna Horčinová

© Mira Loew

© Mira Loew

© Eva Stenram© Alix Marie

© à g. Eva Stenram, à d. Alix Marie

Image d’ouverture : © Mira Loew

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