Avec Empty Porn Sets, la photographe Jo Broughton lève le voile sur les coulisses des shooting pour adultes. Dans une mise en scène désincarnée, la Britannique sublime les décors qui accueillent les fantasmes des directeurs artistiques et des spectateurs.
Nous le savons, la fabrique des images est un art qui nécessite une technique et du talent. Dans les studios photographiques, des équipes mettent en place les conditions de production de ces images, en mettant l’accent sur la mise en scène et le décor. Souvent utilisés dans le cadre de réalisations commerciales, ces décors sont une représentation figurée de l’environnement où se passe l’action. Avec Empty Porn Sets, ils deviennent un sujet central. Jo Broughton a profité de son expérience comme assistante d’un photographe spécialisé dans le charme et la pornographie.
« Comme la plupart des choses dans ma vie, ça a commencé par accident. Disons que j’étais au mauvais endroit, au bon moment. » C’est ainsi que la Britannique résume son arrivée dans un univers dont elle ignorait tout. « J’étais très jeune, se souvient-elle, je suivais des cours d’art au Thurrock College Essex. En réalité, je séchais beaucoup. Un jour, peut-être par désespoir, un professeur m’a proposé un stage dans un studio à Londres. J’ai tout de suite accepté. Je me disais que mon talent allait enfin éblouir le monde. » C’est aussi une opportunité pour elle de quitter une banlieue terne dans laquelle elle étouffe. Armée d’insouciance et pensant rejoindre un studio de mode où règne le glamour, elle part pour la capitale anglaise. Commence pour elle une aventure qu’elle ne soupçonne pas.
Une chatte de près
« Je me suis présentée devant la porte d’une grande bâtisse, poursuit Jo Broughton. Là, un Écossais un peu brusque m’ouvre et me demande si j’ai déjà vu une chatte de près. Surprise et naïve, je lui ai répondu que non. Il m’a juste dit « Eh bien c’est ton jour de chance ! » C’est ainsi qu’a débuté ma formation. » Démunie et ne souhaitant pas revenir dans un foyer familial qu’elle estime nocif pour elle, la jeune étudiante s’installe dans le studio. Elle y trouve une forme de sécurité inattendue et une famille alternative. Comme nombre d’assistants inexpérimentés, ses tâches sont souvent ingrates : entretien du matériel, test des éclairages, préparation du thé et du déjeuner, accompagnement des modèles… Mais surtout beaucoup d’ennui.
C’est dans ces périodes de calme que naît la série Empty Porn Sets. Lorsque le studio devient le terrain de jeux de Student Jo, comme la surnomme son patron. « Au bout d’un moment, explique-t-elle, le responsable du studio m’a autorisée à utiliser les locaux pour mes propres projets. Mon heure commençait en fin de journée, quand la poussière brillait dans les puits de lumière et que le soleil déclinant venait frapper des parties de la pièce que moi seule connaissais. » Jo Broughton prend alors possession du plateau sans qu’il ne soit démonté et les lieux nettoyés. Elle capture les paysages artificiels qui, peu de temps avant, accueillaient des fantasmes imaginés pour le papier glacé destiné aux adultes.
L’envers du décor
Le résultat est étonnant. Dans des ambiances aussi variées qu’un camp militaire, une fête d’anniversaire, une chambre d’hôpital ou encore une salle de classe, il faut chercher les traces indicielles du scénario initial pour comprendre ce qui s’est tramé là. L’important pour Jo Broughton est de ne rien dénaturer et de limiter son intervention à la prise de vues. « J’ai inclus des éléments qui permettent de deviner l’ensemble, en laissant les projecteurs, en ne déplaçant aucun objet. Il fallait que le tout soit intact et que la scène soit excitante. » Après des heures de travail, tout le monde rentrait chez soi et ne prêtait pas attention à Student Jo. Elle était seule, elle était libre.
Avec une sensibilité évidente, la photographe découvre aussi l’envers du décor. Là-bas pour valider son diplôme, elle constate la réalité que vivent beaucoup de modèles. Et dans une économie qui engrange des revenus dont la répartition est parfois opaque, nombreux sont les exploités. Parmi eux, des étudiantes qui, pour subvenir à leurs besoins essentiels, ont fait ce choix. Une histoire la marquera et exprime bien la façon dont les acteurs pornographiques sont perçus : « Une étudiante était allée à son bal de promo. Quelqu’un avait mis la main sur le magazine dans lequel elle apparaissait. Il a trouvé drôle d’afficher des images d’elle dans toute la salle. Vous imaginez ? »
Maintenant c’est plus hard
Cette anecdote malheureuse, comme le souligne Jo Broughton, ne doit pas faire oublier qu’une grande partie des actrices et acteurs embrasse cette industrie volontairement. Par ailleurs, la photographe a eu, elle aussi, à pâtir des a priori négatifs que suscite l’industrie pornographique. « Pendant longtemps, les gens ont rejeté Empty Porn Sets, regrette l’artiste. Ils m’associaient avec dégoût à cette industrie. Il a fallu des années avant que ce travail soit accepté, compris. À l’époque, j’ai dû mentir et cacher ce que je faisais. Quelque part, ceux qui jugent ont oublié que nous partageons la même humanité. » Ils en oublient aussi, certainement par commodité, qu’au regard des chiffres de diffusion de ces images, pas mal de ces moralistes d’apparat doivent être également consommateurs de ces clichés.
Aujourd’hui, les temps ont changé. Les magazines payants, que des générations d’adolescents ont dissimulés sous leur matelas, ont laissé place au streaming gratuit. Bien qu’elle affirme l’importance du fantasme et ce qu’il peut apporter de plus qu’à la réalité, Jo Broughton en a conscience. « Autrefois, les règles des shootings étaient strictes. Il ne devait pas y avoir d’érection, ni de pénétration. Maintenant c’est plus hard, reconnaît-elle. Et les images se propagent sur les smartphones sans qu’on n’y prête vraiment d’intérêt. Au moins, les magazines relevaient d’une forme d’intimité. » C’est pourquoi la photographe insiste sur l’importance du consentement et demande à ceux qui veulent entrer dans l’industrie pornographique de faire attention à la diffusion de leur personne. Car oui, ces images restent.
© Jo Broughton