
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son père, à travers une exposition au Hangar, à Bruxelles, jusqu’au 21 décembre 2025, et la réédition du livre chez Fisheye Éditions. Rencontre.
Avec Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow réalise un travail artistique qui sera sa propre thérapie face à la maladie de son père Maurice. La photographe compose un jeu visuel avec celui-ci, mêlant documentation de la rémission du cancer et des suites d’un coma, mises en scène surréalistes dans un studio et moments de complicité en père et fille. Elle dévoile alors un homme rêveur et excentrique qui s’éteindra juste avant la parution du livre, en 2018. Sept ans plus tard, Charlotte Abramow fait perdurer le souvenir de Maurice à travers une exposition au Hangar, à Bruxelles, visible jusqu’au 21 décembre 2025, et la réédition de son ouvrage, disponible aujourd’hui en librairie, qui sonde la question du deuil et de l’absence.
Fisheye : Quelles émotions te traversent ?
Charlotte Abramow : Plutôt des émotions positives. Sept ans, c’est très symbolique : j’avais laissé ce travail un peu dans un tiroir, car mon père est décédé il y a sept ans, juste avant la sortie du livre Maurice, tristesse et rigolade. Et il a été malade pendant sept ans. J’y ai vu l’occasion de boucler la boucle, de pouvoir retravailler sur mon deuil, rééditer l’ouvrage et faire une exposition. Et même s’il y avait parfois de l’appréhension, il était important d’y faire face, pour ne pas faire mourir le projet avec lui.
Comment as-tu pensé la réédition de Maurice, tristesse et rigolade ?
Contrairement à l’exposition où j’ai pu expérimenter avec la scénographie, je n’ai pas eu envie de toucher au livre. Parce que justement, il racontait le combat, la renaissance, l’optimisme de mon père que je ne voulais pas teinter de la mort – même si fatalement, elle est présente puisque c’est la conclusion pour tout le monde. Pour cette réédition, j’ai cherché à rajouter un chapitre, un objet à part, qui revient sur cette question du deuil. Il prend la forme d’un livret intitulé « Vivre sans, vivre avec ». En 2018, avec le livre, j’ai réussi à traiter l’épreuve de la maladie. Aujourd’hui, je traite, avec cette version augmentée de l’ouvrage, une autre épreuve : celle de l’absence de mon père.


Fisheye Éditions
Livre : 292 pages
Livret : 48 pages
70 €
Que contient ce livret ?
Ce livret est très personnel. Il y a beaucoup plus de mots, que j’ai écrits au fil des années, que d’images. Je me posais régulièrement une question : « Que fait-on de l’absence ? » Je ne crois pas en Dieu, je n’avais donc pas beaucoup de croyances auxquelles me rattacher. Tout est parti d’une devanture d’un magasin qui s’appelait « Maurice », comme mon papa, devant laquelle je passais souvent, rue de Bretagne. Juste voir « Maurice », ça me faisait quelque chose. Puis un jour, cette façade a disparu et je me suis sentie trop bizarre. C’était assez absurde comme sensation, mais j’y ai vu des signes, des petites choses auxquelles je pouvais me raccrocher. C’était pour moi une façon de faire perdurer le lien. Comment puis-je percevoir des signes de mon père alors qu’il n’est plus là ? Comment puis-je transformer son absence en une autre forme de présence, grâce à la poésie, à l’écriture, à l’art. Je tenais à ce qu’il n’y ait pas d’images de lui dans le livret. Les photos sont presque désuètes, très ordinaires. Ce sont de feuilles mortes, des devantures de magasins ou parfois une silhouette floue.
L’exercice a vraiment été thérapeutique pour moi. C’est quasiment devenu un jeu de chercher ces signes de mon père. Et encore une fois, la création artistique m’a permis un peu de changer de lunettes sur le deuil que je regardais d’un œil plutôt fataliste. Et là, il s’est enrobé de poésie.
Cette réédition s’accompagne d’une exposition du même nom au Hangar de Bruxelles. Comment répond-elle à l’ouvrage ?
J’avais des idées de scénographie, déjà à l’époque de la sortie du livre, que j’ai précisées cette année au Hangar. L’ouvrage, c’est un récit intime qui tient dans les mains et qu’on lit chez soi de manière linéaire. L’exposition est pensée comme un parcours immersif qui invite à l’émotion, pas uniquement par les images, mais par la taille des tirages, leur disposition dans l’espace, les couleurs, les objets. C’est être projeté dans le mystère de Maurice, c’est porter un autre regard sur la maladie, sur les séquelles neurologiques, sur le handicap et sur le soin. Ce parcours permet de traverser tout ce que j’ai ressenti, tout ce que j’ai vécu avec mon père. Tout comme le suggère le titre, c’est être touché par la tristesse, mais aussi par la rigolade. Peut-être ça pourra donner aux gens un peu d’espoir, de beauté, si jamais ils sont chagrinés par ce qu’ils vivent.
Un mot pour ton père, Maurice ?
Je suis si heureuse que beaucoup de gens découvrent sa personnalité, et qu’ils le trouvent attachant. Ça me fait plaisir de partager le chouette papa que j’ai eu. Il peut compter sur moi pour faire perdurer son souvenir et tout ce qu’il a apporté de beau dans nos vies.




