Avec Africa 21e siècle. Photographie contemporaine africaine, le commissaire d’expositions Ekow Eshun rassemble dans un ouvrage monumental, une brillante mosaïque de la photographie africaine contemporaine. Un travail minutieux – et nécessaire – qui sera présenté cet été aux Rencontres d’Arles.
Africa 21e siècle« propose un panorama de la pratique photographique récente à travers le continent africain ; toutes les œuvres qui y figurent ont été réalisées au XXIe siècle, la plupart il y a moins de dix ans »
, peut-on lire dans l’introduction de l’ouvrage du commissaire, journaliste et écrivain britannique Ekow Eshun. Pourtant, le livre ne doit pas être interprété comme une simple immersion dans un genre photographique propre au continent. Ici, pas de « regard » africain homogène et stéréotypé. Bien au contraire, c’est toute une constellation de la scène contemporaine qu’on découvre, sublimée et diversifiée, sur le territoire africain. Comme le voulait l’économiste sénégalais Felwine Sarr, Africa 21e siècle cherche à développer une nouvelle manière de comprendre – et de regarder – l’Afrique. Pour cela, le curseur traditionnellement empreint de colonialisme est déplacé pour placer l’artiste africain au centre, et forger une nouvelle perspective. « Les travaux des photographes réunis dans ce livre viennent étayer la réflexion de Sarr. Considérés individuellement, ils n’ont pas forcément grand-chose en commun (…). Mais en rassemblant leurs œuvres, il est possible que se dessine une cause commune : la revendication d’une Afrique vue dans tous ses paradoxes, toutes ses promesses, et son émerveillement quotidien », poursuit le journaliste.
Avec plus de 300 images, et 51 artistes, l’ouvrage d’Ekow Eshun dresse un portrait infiniment pluriel de la photographe africaine. Un véritable mouvement artistique s’y dégage, telle une fronde unie et singulière, malgré l’hétérogénéité des regards. Car aujourd’hui, la création africaine s’impose sur la scène internationale avec un traitement plastique en constante évolution. Dynamiques, colorées et avant-gardistes, les œuvres bouillonnent et s’imposent comme des cris intenses, et trop longtemps ignorés. La sud-africaine Zanele Muholi, le marocain Hassan Hajjaj, la nigérienne Yagazie Emezi, le sénégalais Omar Victor Diop, l’anglo-libérienne Lina Iris Viktor… Des figures reconnues internationalement brillent comme des étoiles au-dessus de l’immense étendue du continent. Divisé en quatre chapitres – « Villes hybrides », « Zones de liberté », « Mythe et mémoire » et « Paysages intérieurs » – Africa 21e siècle révèle l’ampleur de cette effervescence photographique, qui ne cesse de surprendre aujourd’hui.
© Gima Berta
Conter son histoire
Y’a-t-il un dénominateur commun à ces créations actuelles ? Au-delà de la proximité géographique (qui n’est d’ailleurs pas si pertinente quand le continent recouvre environ 30 millions de km2…), c’est tout un savoir-faire : une méthode d’expérimentation photographique. Car loin des représentations documentaires stéréotypées de l’Afrique, que l’on connaît tous – celles où l’œil de l’homme blanc transpire irrémédiablement à travers les images – les photographes originaires du continent, sélectionnés par Ekow Eshun, privilégient le travail d’auteur. Non pas le regard du reporter, mais celui de l’artiste. Celui qui interroge, créer, innove et bouleverse le champ des possibles. Loin de réinterpréter les codes du 8e art établis en Occident, ce regard trace son propre chemin et ouvre de nouvelles voies. Tous autant qu’ils sont, les auteurs africains s’imposent même en opposition aux visions dominantes de l’héritage colonial. Avec des codes visuels et des écritures propres, ils content leurs histoires.
Le premier chapitre de ce recueil, « Villes hybrides », sera exposé cet été au festival international des Rencontres d’Arles. Un véritable témoignage de sa grande influence. L’occasion de découvrir la vision singulière et synthétique du commissaire d’exposition Ekow Eshun. Dans le Jardin des voyageurs, seront exposées les écritures d’auteurs concernés livrant leurs propres visions de l’Afrique actuelle – moderne et urbanisée. Autant de perspectives qui décortiquent et donnent à voir la juste réalité du continent. Une réalité multiforme, entre tradition et modernité, où naissent avant-gardes et visionnaires. Ce que résume merveilleusement l’écrivain : « Il ne serait pas pertinent de chercher à classer dans tel ou tel courant le large éventail de photographes présentés dans ce livre. Mais peut-être pouvons-nous dire qu’ils sont révélateurs d’un moment. Un moment long à advenir et aujourd’hui concrétisé par l’exaltant talent artistique dont ce livre se fait le reflet. Un moment où une génération de photographes africains revendique la liberté créative de regarder en soi-même pour pouvoir décrire ce que cela représente, ce que cela signifie de vivre en Afrique aujourd’hui. Ce faisant, leurs visions de l’intérieur embrassent une réalité externe captivante. »
Africa 21e siècle. Photographie contemporaine africaine, Textuel, 55 €, 272p.
© Youssef Nabil
à g. © Lina Iris Viktor ; à d. © Yagazie Emezi
© Jodi Bieber
Image d’ouverture : © Youssef Nabil