Alain Willaume & Wajdi Mouawad au sommet de la Colline

18 avril 2019   •  
Écrit par Anaïs Viand
Alain Willaume & Wajdi Mouawad  au sommet de la Colline
© Alain Willaume

Espace de méditation visuelle plus qu’exposition, Mélancolie des collines établit un dialogue entre un homme de théâtre et un photographe solitaire. Les images sombres et engagées d’Alain Willaume répondent aux créations métaphysiques de Wajdi Mouawad. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

Le théâtre de la Colline accueille jusqu’en décembre 2019 Mélancolie des collines, une installation photo- graphique signée Alain Willaume. Pour la deuxième année consécutive, le théâtre parisien affiche son
intérêt pour le 8e art. La saison précédente, Sarah Moon avait collaboré à la réalisation de l’Almanach (le livret de programmation du théâtre) ; cette année, le photographe invité investit les murs pour y présenter une cartographie très personnelle. « J’ai toujours ressenti l’importance d’une triangularité entre la pensée du théâtre, un graphiste et un autre artiste dans le rapport à l’affiche, au visuel. Je me suis toujours méfié de la dualité. Sans un troisième larron, on tombe dans le cannibalisme, confie Wajdi Mouawad, metteur en scène, auteur, comédien, et directeur du théâtre parisien. Sans la triangularité, cela relève de la publicité. Et je ne suis pas là pour attirer l’attention. »

Et c’est d’ailleurs Pierre di Sciullo, en charge de la conception graphique du lieu, qui a suggéré le travail d’Alain Willaume. Dans les espaces publics, le visiteur découvre une véritable mise en scène des images exposées. Alain Willaume a imaginé cette carte blanche comme un « train fantôme ». « J’ai pensé un parcours fait de silhouettes et de paysages où l’on ne sait pas ce qui s’y passe », explique le photographe. « Aujourd’hui, il m’est difficile d’imaginer les murs sans les images d’Alain, témoigne Wajdi, elles ont transformé le lieu, et notre rapport au lieu. »

© Alain Willaume / Tendance Floue

Une écriture polyphonique

Cette installation est née de la rencontre entre deux personnages unis par des liens visibles et invisibles. Wajdi Mouawad est un homme de théâtre contemporain aux multiples casquettes : auteur, comédien, metteur en scène… il maîtrise une écriture polyphonique. Il est le magicien d’un théâtre total dans lequel textes, lumières, décors, musiques et costumes se rejoignent en un tout. Paradoxalement, il se décrit comme un artiste non visuel. « Je suis un aveugle lorsque je marche dans la rue, j’ai un rapport assez fermé au monde », précise-t-il. Dans son bureau, une table d’écolier et deux chaises se font face, un lit et plusieurs étagères complètent le décor. On trouve dans sa bibliothèque de nombreux livres photo.

S’il pratique depuis longtemps la photographie en amateur, c’est sa rencontre déterminante avec l’éditeur Robert Delpire qui scelle son attachement au 8e art. « Ici, je suis entouré par Delpire, explique-t-il, en s’emparant de la réédition des Américains de Robert Frank. C’est d’ailleurs dans les bouquins photo qu’il trouve les images stimulant sa créativité. « Je commence toujours par sélectionner des livres qui correspondent à une inspiration que j’ai par rapport à ce que je souhaite écrire. Il y a toujours un livre photo à l’origine de mes créations. J’arrive à donner une forme à mon idée avec les photos. Ces livres sont les premiers éléments que je montre à mon scénographe pour qu’il puisse saisir la sensation qui m’anime. La photo s’est inscrite comme un impératif absolu », ajoute Wajdi Mouawad. « Bizarrement, je ne suis pas très fan de théâtre. Souvent, je trouve que c’est mal interprété », confie Alain Willaume. Ce dernier a pourtant côtoyé le milieu du spectacle vivant. Dans les années 1980, il a photographié pour le Théâtre national de Strasbourg les répétitions nocturnes de Lenz, une pièce mise en scène par l’Allemand Johannes Klett. Plus tard, il est tombé amoureux d’une actrice et a vécu plusieurs années au sein d’une troupe, jusque dans un zoo devenu décor d’une création théâtrale. « Cela me fascinait, car le théâtre sortait du cadre. On s’aventurait dans des lieux insolites », se souvient-il.

Représenté par le collectif Tendance Floue qu’il a intégré récemment, le photographe sort enfin de l’ombre. « L’exposition Mélancolie des collines ainsi que mon ouvrage Coordonnées 72/18 résultent d’un long processus. Un photographe traditionnel passe sa vie à courir après des projets. Et finalement, à quoi cela sert-il d’accumuler toutes ces images? Il me fallait mettre en perspective ma vision du monde. » Alain Willaume signe par ailleurs une très belle monographie composée d’images énigmatiques aux éditions Xavier Barral. Selon lui, le théâtre d’aujourd’hui est bien trop conventionnel, excepté celui de Wajdi Mouawad qu’il n’a découvert que très récemment. « J’aime les créations de Wajdi, car elles sont visuellement très fortes. Les sons me bouleversent autant que ses textes. Je suis très sensible à la dimension physique de son théâtre. En sortant de l’une de ses représentations, tous nos sens sont en éveil », ajoute-t-il.

 

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #35, en kiosque et disponible ici.

© Alain Willaume / Tendance Floue

© Alain Willaume / Tendance Floue

© Alain Willaume / Tendance Floue

© Alain Willaume / Tendance Floue© Alain Willaume / Tendance Floue

© Alain Willaume / Tendance Floue© Alain Willaume / Tendance Floue© Alain Willaume / Tendance Floue

© Alain Willaume / Tendance Floue

Explorez
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
© Chloé Lamidey
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
Chiens, chats, ours, éléphants ou encore pigeons, apprivoisés, sauvages ou même espions, parmi les séries présentées sur les pages de...
23 juillet 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
© Ludivoca De Santis
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
Collections d’images venues de rêves lucides, Onironautica de Ludovica De Santis interroge, au travers de mises en scène intrigantes...
19 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Le Jardin du Lunch : les boulettes de Proust
© Pascal Sgro
Le Jardin du Lunch : les boulettes de Proust
Entre nostalgie et humour, le photographe belge Pascal Sgro saisit, dans sa série en cours Le Jardin du Lunch, la bienveillante laideur...
19 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
© Cait Oppermann
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
Ce vendredi 26 juillet est marqué par la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. À cette occasion, nous vous...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
© Iwane Ai. A New River series, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
À l’occasion des dix ans du Festival, Kyotographie investit les Rencontres d’Arles pour la première fois. L’exposition...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
© Robin de Puy
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
L'exposition Waters & Meer - Robin de Puy revient sur deux séries de la photographe néerlandaise. Un hommage aux populations rurales...
25 juillet 2024   •  
Écrit par Costanza Spina