Jusqu’au 23 janvier, la Galerie Templon accueille An eclipse of moths, série cinématographique de Gregory Crewdson. Le portrait mélancolique d’une Amérique rattrapée par sa propre déchéance.
Véritables panoramas de près de deux mètres de large, les images de Gregory Crewdson ne peuvent qu’attirer le regard. Initiée il y a quatre ans, la série An eclipse of moths, composée de seize photographies grand format, orne les murs de la Galerie Templon. Un ensemble immersif, dans lequel le regardeur est invité à se plonger. Travaillant à la manière d’un réalisateur, Gregory Crewdson ne laisse rien au hasard : acteurs, accessoiristes, maquilleurs, story-boards et décors accompagnent chacune de ses créations. La taille de ses tirages évoque quant à elle l’écran des cinémas, et sa capacité à happer le public, à le plonger au cœur d’un récit captivant.
Pour le photographe, directeur du programme en photographie de Yale, le lieu choisi est l’ingrédient phare d’une image réussie. « La réalisation d’une image commence toujours par là. Je me déplace dans des quartiers, des lieux en périphérie des villes. C’est en retournant dans un espace donné encore et encore que ma narration apparaît », confie-t-il. Puis, d’une main de maître, l’auteur place ses personnages et objets, change les noms des rues, des panneaux, peint même les carrosseries des voitures pour leur donner un aspect plus sale. Aidé de son équipe, il éclaire, fait la mise au point sur chaque détail pour révéler les multiples nuances de ses saynètes. « Je veux que le public puisse s’approcher du cliché pour en saisir les toutes les données, ou s’en éloigner et se perdre dans son atmosphère », ajoute-t-il.
La plénitude et la destruction
Actuelle, An eclispe of moths est née au lendemain de l’élection de Trump. Et le projet se lit comme un état des lieux d’une Amérique inerte. Çà et là, des voitures anciennes (symboles de la puissance technologique du territoire, quelques décennies plus tôt) gisent, vides, les portes ouvertes, sur des routes pluvieuses. Dominés par le paysage urbain, les quelques personnages qui apparaissent dans les images de Gregory Crewdson assistent, passifs, au déroulement de leur existence. Et jamais leurs regards ne se croisent. À leurs côtés, des accessoires étrangement rétros nourrissent la narration : un landau, des lits d’hôpital, une chaise roulante, une carcasse de montagne russe, des cercueils… « Ces éléments sont des références à des forces opposées : la mortalité et l’immortalité, la domesticité et la nature, la plénitude et la destruction », précise-t-il.
Tout comme Edward Hopper – l’une de ses influences – le photographe fait le portrait d’une Amérique entre deux eaux : divisée entre un désir d’évoluer, et une incapacité à se débarrasser du passé. Entre une nature résistante et une urbanisation étouffante. Avec une mélancolie poignante, Gregory Crewdson invite le regardeur à s’interroger, à tisser des liens entre les différents éléments de ses clichés. Car si la brume enveloppant ses acteurs semble enliser leurs actions, les couleurs chaudes des ciels, elles, annoncent un certain espoir. Mais comment combattre l’insoutenable décadence ? Peut-on se débarrasser du poids de la déchéance ? Finalement, les scènes imaginées par l’artiste évoquent, tout comme le titre de sa série, les vols des papillons de nuit, inéluctablement attirés par la lumière, aussi belle et rayonnante qu’artificielle.
Jusqu’au 23 janvier 2021
Galerie Templon, 28 Rue du Grenier-Saint-Lazare, Paris 3e
Vous pouvez visiter l’exposition de manière virtuelle ici.
© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels