« An eclipse of moths » : l’attirance de l’inertie

22 janvier 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« An eclipse of moths » : l’attirance de l’inertie

Jusqu’au 23 janvier, la Galerie Templon accueille An eclipse of moths, série cinématographique de Gregory Crewdson. Le portrait mélancolique d’une Amérique rattrapée par sa propre déchéance.

Véritables panoramas de près de deux mètres de large, les images de Gregory Crewdson ne peuvent qu’attirer le regard. Initiée il y a quatre ans, la série An eclipse of moths, composée de seize photographies grand format, orne les murs de la Galerie Templon. Un ensemble immersif, dans lequel le regardeur est invité à se plonger. Travaillant à la manière d’un réalisateur, Gregory Crewdson ne laisse rien au hasard : acteurs, accessoiristes, maquilleurs, story-boards et décors accompagnent chacune de ses créations. La taille de ses tirages évoque quant à elle l’écran des cinémas, et sa capacité à happer le public, à le plonger au cœur d’un récit captivant.

Pour le photographe, directeur du programme en photographie de Yale, le lieu choisi est l’ingrédient phare d’une image réussie. « La réalisation d’une image commence toujours par là. Je me déplace dans des quartiers, des lieux en périphérie des villes. C’est en retournant dans un espace donné encore et encore que ma narration apparaît », confie-t-il. Puis, d’une main de maître, l’auteur place ses personnages et objets, change les noms des rues, des panneaux, peint même les carrosseries des voitures pour leur donner un aspect plus sale. Aidé de son équipe, il éclaire, fait la mise au point sur chaque détail pour révéler les multiples nuances de ses saynètes. « Je veux que le public puisse s’approcher du cliché pour en saisir les toutes les données, ou s’en éloigner et se perdre dans son atmosphère », ajoute-t-il.

© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels

La plénitude et la destruction

Actuelle, An eclispe of moths est née au lendemain de l’élection de Trump. Et le projet se lit comme un état des lieux d’une Amérique inerte. Çà et là, des voitures anciennes (symboles de la puissance technologique du territoire, quelques décennies plus tôt) gisent, vides, les portes ouvertes, sur des routes pluvieuses. Dominés par le paysage urbain, les quelques personnages qui apparaissent dans les images de Gregory Crewdson assistent, passifs, au déroulement de leur existence. Et jamais leurs regards ne se croisent. À leurs côtés, des accessoires étrangement rétros nourrissent la narration : un landau, des lits d’hôpital, une chaise roulante, une carcasse de montagne russe, des cercueils… « Ces éléments sont des références à des forces opposées : la mortalité et l’immortalité, la domesticité et la nature, la plénitude et la destruction », précise-t-il.

Tout comme Edward Hopper – l’une de ses influences – le photographe fait le portrait d’une Amérique entre deux eaux : divisée entre un désir d’évoluer, et une incapacité à se débarrasser du passé. Entre une nature résistante et une urbanisation étouffante. Avec une mélancolie poignante, Gregory Crewdson invite le regardeur à s’interroger, à tisser des liens entre les différents éléments de ses clichés. Car si la brume enveloppant ses acteurs semble enliser leurs actions, les couleurs chaudes des ciels, elles, annoncent un certain espoir. Mais comment combattre l’insoutenable décadence ? Peut-on se débarrasser du poids de la déchéance ? Finalement, les scènes imaginées par l’artiste évoquent, tout comme le titre de sa série, les vols des papillons de nuit, inéluctablement attirés par la lumière, aussi belle et rayonnante qu’artificielle.

 

An eclispe of moths

Jusqu’au 23 janvier 2021

Galerie Templon, 28 Rue du Grenier-Saint-Lazare, Paris 3e

Vous pouvez visiter l’exposition de manière virtuelle ici.

© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels

© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels

© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels

© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels

© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels

© Gregory Crewdson / Courtesy Templon, Paris-Brussels

Explorez
La sélection Instagram #489 : chambre vermeille
© Maša Stanić / Instagram
La sélection Instagram #489 : chambre vermeille
La couleur rouge a une place toute particulière en photographie. Dans les laboratoires de tirages, elle éclaire la pénombre et révèle...
14 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Entre ombre et lumière, Sarah Moon illumine le 7 à 9 de Chanel
© Sarah Moon
Entre ombre et lumière, Sarah Moon illumine le 7 à 9 de Chanel
La première édition du 7 à 9 de Chanel a réuni, au Jeu de Paume, l’emblématique photographe et cinéaste Sarah Moon, l’étudiante en art...
13 janvier 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Contenu sensible
Aldo Giarelli, le queer au corps
© Aldo Giarelli
Aldo Giarelli, le queer au corps
Photographe de mode, Aldo Giarelli restitue dans sa dernière série, We are Everywhere, des corps queers à la fois sexualisés et divers.
10 janvier 2025   •  
Écrit par Hugo Mangin
La sélection Instagram #488 : étoffe caméléon
© Theresa Maria / Instagram
La sélection Instagram #488 : étoffe caméléon
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine jouent avec le grain, dansent avec les mailles, ou impriment des images sur des...
07 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sony World Photography Awards : la photographie à la fleur de l'âge
© Thapelo Mahlangu, South Africa, Shortlist, Student Competition, Sony World Photography Awards 2025
Sony World Photography Awards : la photographie à la fleur de l’âge
Les Sony World Photography Awards annoncent les finalistes de ses deux compétitions célébrant les jeunes photographes à travers le monde...
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
© Balázs Turós
Balázs Turós et le quotidien de sa grand-mère atteinte de démence
Confronté à la maladie de sa grand-mère et à ses propres questionnements existentiels, le photographe hongrois Balázs Turós sonde l’âme...
21 janvier 2025   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #490 : jardin secret
© Talya Brott / Instagram
La sélection Instagram #490 : jardin secret
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine confectionnent un nid douillet. Sur leurs images se dévoilent un cocon familial...
21 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #528 : Mélodie Roulaud et LickieMcGuire
© LickieMcGuire
Les coups de cœur #528 : Mélodie Roulaud et LickieMcGuire
Mélodie Roulaud et LickieMcGuire, nos coups de cœur de la semaine, se livrent toutes deux à une pratique photographique ayant trait à...
20 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet