Ashley Markle explore les liens entre elle, sa mère et son amant

04 mai 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Ashley Markle explore les liens entre elle, sa mère et son amant

Réalisé pendant le confinement, le livre Weekends with my mother and her lover, d’Ashley Markle propose une immersion décomplexée dans le quotidien d’un couple – celui de la mère et du beau-père de l’artiste. Un récit en symbiose, à trois voix bien distinctes.

« Lorsque j’ai démarré la photographie, j’utilisais deux méthodes. Je shootais des mises en scènes avec mon Mamiya, et des créations plus spontanées, à l’aide un petit compact. Aujourd’hui, je refuse de les séparer »

, déclare Ashley Markle. Diplômée de l’International Center of Photography de New York, l’artiste visuelle croise aujourd’hui ses propres compositions à des images anonymes et des textes, pour construire des récits intimes, inspirés de sa propre vie, de ses propres expériences. « Je pense que cela vient du fait que je suis enfant unique, je suis habituée à être seule, à m’inventer des histoires tout le temps », confie-t-elle.

Le 16 mars 2020, alors que la pandémie progresse rapidement à New York, la photographe loue une voiture et part se confiner dans la maison de sa mère, dans l’Ohio. Un séjour qui durera deux mois entiers. Là-bas, loin de l’anxiété citadine, Ashley Markle s’immerge dans une routine à part, ponctuée par des interactions avec sa mère et son beau-père, John. Une curieuse harmonie naît alors, que l’artiste ne peut s’empêcher de capturer. « Lorsque j’ai découvert mes premiers tirages, j’ai su que j’avais trouvé quelque chose de précieux, et j’ai poursuivi le projet. J’ai ensuite enchaîné les allers-retours entre l’Ohio et Brooklyn, pour capturer ce couple chaque week-end. Le récit est ainsi devenu plus intime avec le temps », raconte-t-elle. Véritable protagoniste de l’histoire, la présence de l’autrice s’impose comme une force, un lien précieux, instaurant une dynamique au documentaire visuel. À la fois voyeuse et témoin externe, étrangère et parente, elle habille, de son regard, chaque mise en scène, chaque instant naturel et parvient à saisir les nuances d’une relation complexe, et authentique.

© Ashley Markle

La complicité la plus brute

Entre performance et reportage, Weekends with my mother and her lover se lit comme une pièce de théâtre, retraçant l’intimité d’un couple en différents actes, tout en interrogeant, en contrepoint, la matière brute qui compose l’être humain. « Cette série parle de traumatismes, mais c’est un terme que j’utilise au sens large. Nous faisons tou·tes l’expérience de traumas, ce sont eux qui nous forgent. Ma mère, mon beau-père et moi-même avons chacun vécu des choses différentes, qui influencent notre manière de communiquer », explique Ashley Markle qui n’a pas hésité à casser les codes pour transcender son récit. « J’ai sorti ma mère de son carcan de “mère”, et j’ai fait tomber les barrières entre John et moi », précise-t-elle. En se plaçant sur un pied d’égalité avec le couple, l’artiste parvient alors à accéder à la réalité. Une réalité brute, révélant les cicatrices et les plaies d’une vie – celles qui se résorbent avec le temps, sans jamais vraiment disparaître, celles qui donnent aux regards une profondeur bouleversante.

Dans les images d’Ashley Markle, le corps est libéré. Il se dénude, et se prend au jeu, parvient à s’abandonner à une légèreté tentatrice. Souvent représentée avec le couple, la photographe s’immisce dans ses mises en scène, et parvient à saisir des instants de grâce, où seule la complicité la plus honnête jaillit. Un contrepied volontaire à une société hypersexualisée. « Il y a une saturation du nu présenté de manière sexuelle. À un point où, lorsque je vois un corps nu, je pense immédiatement au sexe. Mais nos corps ne sont pas conçus que pour cela. Celui de ma mère a littéralement créé le mien, et je me sens aimée lorsqu’elle ou John me font un câlin… Si mon travail a tout de même des éléments sexuels – je sais que ma mère et John font l’amour, c’est dans le titre – je préfère m’intéresser à toutes les merveilleuses choses que nos corps peuvent faire d’autre », commente-t-elle. Figée en plein mouvement, touchée, caressée, étirée lors d’un exercice… Dans les clichés, l’enveloppe corporelle devient un symbole – celui d’une relation en constante construction, entre disputes et moments charnels, tensions et confiance. Véritable journal visuel illustrant les interrogations de l’artiste, le livre invite le regardeur à prendre part à cette histoire familiale, et à tirer ses propres conclusions. « Les concepts avec lesquels je m’amuse sont vagues. J’espère que chacun pourra y retrouver des choses familières, des éléments de sa propre histoire », confie l’autrice. Ne se considérant ni comme une enfant ni comme une adulte, mais comme « un être humain, comme tout le monde, à un certain stade de sa vie », la photographe capture, avec Weekends with my mother and her lover des instants d’une rare honnêteté. Une bulle intime, hors du temps, où les destins se croisent, les esprits se libèrent, et les histoires se partagent.

 

Weekends with my mother and her lover, autoédité, 40$, 48 p.

© Ashley Markle

© Ashley Markle© Ashley Markle

© Ashley Markle

© Ashley Markle© Ashley Markle

© Ashley Markle© Ashley Markle

© Ashley Markle© Ashley Markle

© Ashley Markle

© Ashley Markle

Explorez
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Marianne et Ebba, The Mothers I Might Have Had © Caroline Furneaux
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Parmi les photographes qui travaillent autour des archives, un certain nombre s’intéresse aux images qui pourraient figurer, si ce n’est...
25 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Rotting from Within © Abdulhamid Kircher
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Dans son travail Rotting from Within, lauréat du grand prix Images Vevey, Abdulhamid Kircher livre un récit intime : tenter de briser un...
23 octobre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
© Justin Phillips
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
Justin Phillips et Salomé Luce, nos coups de cœur de la semaine, dessinent des images dans lesquelles les saisons défilent. Le premier...
20 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Peas in a Pod II, Emma et Maë, Lille, 2025. © Rachel Seidu
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Dans le cadre du programme hors les murs de l’Institut pour la photographie de Lille, l’artiste nigériane Rachel Seidu expose Peas in a...
17 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
Le coup de grâce lors d'une corrida à Madrid © Oan Kim/MYOP
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
À travers un noir et blanc contrasté, qui rappelle la chaleur sèche de l'Andalousie, Oan Kim, cofondateur de l'agence MYOP, montre...
27 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III
5 coups de cœur qui utilisent le noir et blanc
© David Zheng
5 coups de cœur qui utilisent le noir et blanc
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
27 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 20 octobre 2025 : famille, cultures alternatives et lumière
© Sara Silks
Les images de la semaine du 20 octobre 2025 : famille, cultures alternatives et lumière
C’est l’heure du récap ! Dans les pages de Fisheye cette semaine, les photographes nous font voyager, aussi bien dans des lieux...
26 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Marianne et Ebba, The Mothers I Might Have Had © Caroline Furneaux
7 séries photographiques qui offrent une nouvelle vie à des archives familiales
Parmi les photographes qui travaillent autour des archives, un certain nombre s’intéresse aux images qui pourraient figurer, si ce n’est...
25 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet