Armes ou despotes ? Avec La République des bananes, le photographe brésilien Shinji Nagabe dépeint une dictature dominée par les bananes. Une réponse absurde et très drôle aux élections présidentielles brésiliennes de 2018. Un projet à découvrir lors des Rencontres de la photographie, à Arles, jusqu’au 22 septembre.
Fisheye : Quel genre d’artiste es-tu, Shinji Nagabe ?
Shinji Nagabe : Je suis un journaliste et photographe brésilien. Je vis à Paris depuis 2013. Cette même année, j’ai commencé à travailler sur des projets personnels, souvent connectés à mes origines japonaises. Avec la photographie, je témoigne du monde qui m’entoure et j’immortalise mon processus de création. J’aime mélanger réalité et fantaisie, documentaire et regard personnel. Très souvent, je crée un univers fantastique à partir de faits réels. J’aime aussi manipuler la matière, j’utilise ainsi des matériaux simples comme le scotch.
Quelle est la genèse de La République des bananes ?
Ce travail est né en réaction aux élections présidentielles brésiliennes de 2018. 55 % des électeurs ont choisi un président d’extrême droite, Jair Bolsonaro. J’étais en colère et la première idée qui m’est venue en ce contexte de post élection a été de créer un état de fiction – la république des bananes. Il s’agit en fait d’une dictature puisque les gens sont obligés de s’adapter. Cette forme ludique me permet de parler politique et plus largement, de témoigner de l’état du monde.
Pourquoi la banane ?
Il s’agit du fruit le plus ordinaire qui puisse exister. La banane est aussi l’un des fruits les plus populaires dans les marchés d’alimentation. On la retrouve aux quatre coins du monde. Aussi, sur le plan lexical, le mot « banane » est universel. Où qu’on aille, on arrivera très certainement à se faire comprendre en utilisant ce mot. La banane est un prétexte pour parler des crises politiques et écologiques universelles.
Ce titre fait aussi référence à l’expression « république bananière » qui ne désigne pas seulement un pays de monoculture de bananes, cela renvoie aussi aux pays en apparence démocratique, mais en réalité dictatorial et corrompu.
Tu inventes une fiction, car la réalité te fait peur ?
Oui. Dès que j’allume la télé, je vois des reportages compliqués. Mais je tente de garder espoir – les Brésiliens sont réputés pour être optimistes. Durant mon projet, j’ai rencontré des personnes très généreuses qui m’ont ouvert leur maison et leur cœur. J’aime me connecter aux gens. Les histoires qui ont inspiré mes images témoignent de vraies rencontres. Et ce sont ces récits qui nourrissent mon travail. Si je porte un message fort, je fais tout pour qu’il soit compréhensible par un plus grand nombre. Par exemple, avec ma série de portraits, je pointe du doigt nos sociétés individualistes. Ces portraits composent comme un manuel des bonnes manières, qui je l’espère, dissuade les gens de calquer leur mode de vie et leur personnalité sur les attentes de la société.
Satirique, absurde, ironique…comment définirais-tu ta République des bananes ?
Ce travail est teinté d’ironie. Au Brésil – comme le montre le drapeau national – une double idée est véhiculée : l’ordre et le progrès. Or, le Brésil connaît plutôt un véritable désordre aujourd’hui du fait du conservatisme. On rétrograde. Nous connaissons une guerre des idées. Le monde est divisé et les gens n’échangent plus. Au lieu de mélanger les idées, on tombe dans les extrêmes : la haine, la violence…
C’est pourquoi, en autre, j’ai composé un mur d’armes. Les objets regroupés ici sont fictionnels, mais largement inspirés des perquisitions de la police lors de manifestations et autres rassemblements. Aujourd’hui, il est facile de fabriquer des armes, en témoignent ces 24 éléments. Et finalement, on utilise une arme pour lutter contre l’idée de l’armement. C’est complètement absurde. Et c’est cela que j’ai essayé de synthétiser à travers cette exposition.
D’ailleurs, tu ouvres ton exposition avec une compilation de trois vidéos, de quoi s’agit-il ?
Grâce à une petite télévision, le visiteur peut assister à un championnat du plus rapide mangeur de bananes, à un exorcisme pratiqué dans une église de missionnaire ou encore à une émission durant laquelle une banane devient femme. Derrière l’humour et l’absurde ? La consommation de masse, la religion et la misogynie.
As-tu une image favorite ?
La photo de la mère de famille, Dona Teresa, est particulièrement représentative du projet. Il s’agit là d’une dame qui cautionne la politique actuelle. Le système actuel incarne l’ordre et la sécurité pour cette dernière. Alors que sous le même toit, son fils, a quant à lui choisi l’autre « côté » : il rejette tout ce qu’incarne la nouvelle présidence. Ils sont parents et pourtant, ils commencent à se battre.
Quel futur envisages-tu pour La République des bananes ?
J’aimerais faire voyager la République des bananes. Je réfléchis à un projet de livre aussi. Je travaille actuellement sur une nouvelle série, qui complète ce travail. Je m’intéresse à la notion de manipulation.
© Shinji Nagabe