Aurélie Raidron et les rêves qui surgissent des surfaces archaïques

29 avril 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Aurélie Raidron et les rêves qui surgissent des surfaces archaïques

Travaillant à partir de surfaces photosensibles périmées, Aurélie Raidron construit I Hear Drones, une entité photographique cauchemardesque, interrogeant l’essence même de l’image, comme la fiabilité de notre perception.

« La perception, l’esthésie, la frontière infime entre la proximité et l’intimité, l’envahissement d’images rémanentes et de pensées intrusives dont on ne sait plus déterminer l’origine, l’obsolescence des symboles, notamment religieux, l’autre comme idole ordinaire. Détourner le paysage. Faire croire. » Autant de notions mystérieuses, brumeuses qui inspirent Aurélie Raidron. Comme un leitmotiv impérieux, une mélodie lancinante qui refuse de quitter l’esprit. Des airs lointains, qui vrombissent au fond d’elle et guident ses expérimentations visuelles.

Maniant plusieurs médias, plusieurs modes d’expression – la voix, la photographie, le texte ou encore la performance – la créatrice française aime marier les disciplines pour mieux rendre hommage à « [s]on rapport singulier à la sensorialité ». Privilégiant une approche expérimentale, elle plonge dans des contemplations aux auras abstraites, et construit, à travers I Hear Drones, un univers monochrome aux flous tentateurs dont il faut embrasser les apparences les plus obscures pour y faire surgir la lumière. « Mes images n’ont aucune prétention documentaire, même quand elles sont issues d’un événement spécial que je suis amenée à photographier », rappelle d’ailleurs l’autrice.

© Aurélie Raidron

Les rêves prennent corps

C’est en travaillant exclusivement avec des surfaces photosensibles périmées – « 1920 à 1990 pour les plaques et les papiers, et 1950 à 1990 pour les pellicules » – qu’Aurélie Raidron parvient à s’éloigner du réel. « J’aime également fabriquer mes révélateurs avec trois fois rien, me passer d’appareil photo, préférer le négatif, détourner ou croiser des procédés, partir de l’accident et de la contrainte pour les muer en protocole », précise-t-elle. De ces éléments anciens, elle ignore tout : la conservation comme le temps de révélation, et apprend à faire de l’échec un véritable parti pris créatif. Car, « en renonçant au résultat, l’acte photographique donne au geste une dimension plastique qui pousse même à s’emparer de l’image autrement », déclare-t-elle. Ainsi évoluent les images de I Hear Drones. Des fragments d’une entité trouvant le sublime dans l’imperfection, et résonnant avec le pouls d’une mélodie particulière. « J’y concentre un rapport analogique aux sons, notamment au minimalisme musical, faisant usage du drone. Je tente de traduire par une gamme de gris à noir ce que les bourdons génèrent », ajoute Aurélie Raidron.

De ces tentatives pourtant, émergent diverses narrations. Comme des fulgurances, des flashs abstraits s’imprimant sur notre rétine. Silhouettes fantomatiques, figures hybrides, déesses anonymes… Dans ce monde au brouillard trompeur, « les rêves prennent corps », les certitudes se métamorphosent et disparaissent, en volute, face à notre regard. « Le réveil ne délivre pas du cauchemar, il en annonce au contraire le retour prochain. Il n’est pire angoisse que celle apportée par les états intermédiaires. Mes images se situent dans ces espaces dilués, troubles », confie la photographe. Énigmatique, I Hear Drones est de ces créations visuelles qui hantent les mémoires. Essai philosophique sur la matérialité même du médium, représentation anarchique des sensations musicales, allégorie du souvenir lointain, celui d’une angoisse, d’une peur, ou tout simplement d’une émotion aléatoire… En voguant d’une image à l’autre, les lectures se chevauchent et se complètent, nous offrant une expérience étrangement immersive. En son cœur, le temps cesse de s’écouler, la paralysie se propage, nous contamine. Pour s’en dégager, il nous faut contempler notre environnement et tenter de prédire l’issu… Ou bien accepter les assauts de l’inconnu en trouvant, dans la défaite, une source infinie d’inspiration.

© Aurélie Raidron© Aurélie Raidron

© Aurélie Raidron

© Aurélie Raidron© Aurélie Raidron

© Aurélie Raidron

© Aurélie Raidron© Aurélie Raidron

© Aurélie Raidron

© Aurélie Raidron© Aurélie Raidron

© Aurélie Raidron

Explorez
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
22 février 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Juno Calypso : palais paranoïaque
© Juno Calypso. What to Do With a Million Years ? « Subterranean Kitchen »
Juno Calypso : palais paranoïaque
Dans sa série What to Do With a Million Years ? , la photographe britannique Juno Calypso investit un abri antiatomique extravagant non...
20 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #494 : explosion de nuances
© Maria Louceiro / Instagram
La sélection Instagram #494 : explosion de nuances
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’approprient la couleur. En hommage aux beaux jours qui reviennent doucement...
18 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les coups de cœur #533 : Martin Bousquet et Yulissa Aranibar
Imperial skaters © Yulissa Aranibar
Les coups de cœur #533 : Martin Bousquet et Yulissa Aranibar
Martin Bousquet et Yulissa Aranibar, nos coups de cœur de la semaine, examinent les territoires et les populations qui les habitent....
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 17.02.25 au 23.02.25 : sonder la société
© Aletheia Casey
Les images de la semaine du 17.02.25 au 23.02.25 : sonder la société
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye sondent la société par l’entremise de mises en scène, de travaux...
23 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
22 février 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet