Clara Chichin développe une poétique du fragment et de l’errance, où la nature, puissamment élégante, figure une carte de l’esprit humain et inspire une mélancolie tendre. Ses disparitions successives et Sous les yeux que quelques minutes épuisent sont deux de ses séries aux titres mystérieux, et à la beauté fugitive.
Les paysages flottent à la surface de la conscience. L’horizon, au loin, est presque à notre portée. À l’approche du sommeil comme à l’orée de la mer, la respiration s’approfondit, et fait écho au bruit du flot continu des vagues. Grâce à un jeu autour de la lumière, des couleurs, des éléments et des phénomènes météorologiques, ou encore du grain de l’argentique, Ses disparitions successives pourrait se confondre avec une série de peintures impressionnistes. De ces effets esthétiques, Clara Chichin attend le surgissement de la possibilité d’une fiction – sans pour autant rechercher une intention narrative classique. « Je conçois mes corpus comme un poème composé de leitmotivs, de rythmes et de silences », confie-t-elle. Son geste photographique, délicat, est animé, explique-t-elle, par « quelque chose qui est lié à la perte, au fait de faire avec la disparition, à l’idée de la photographie comme trace toujours manquée, et donc sans cesse recommencée dans un travail de transformation ». Dans cette balade exquise au cœur d’un état second, presque illuminé, l’eau, le ciel, la roche et les feuillages deviennent des matières quasiment saisissables, qui s’effleurent comme lorsque l’on s’abandonne au repos. C’est ce moment singulier et éphémère de l’endormissement, où l’on oscille entre la conscience et l’état hallucinatoire, qu’explore la série au long cours Sous les yeux que quelques minutes épuisent. « Les images s’impressionnent et s’évanouissent sur la rétine, raconte-t-elle. Comme des échos, des persistances rétiniennes, des restes mémoriels, les images sont en train de disparaître, elles ne sont plus tout à fait des représentations du réel. Elles gardent en elles encore – un peu – de temps. » Ces paysages que nous contemplons, ces personnages que nous croisons – des femmes à la longue chevelure, des dormeur·ses, un enfant… – ce sont les figures imaginées par un·e rêveur·se qui se conte à iel-même des visions dans lesquelles l’irréel éblouissement a remplacé la logique implacable d’un monde quadrillé, abrupt. Clara Chichin nous plonge, lentement, dans un espace-temps trouble et intense, d’où l’on ne peut ressortir que plus éveillé·e.