Projet photographique et sonore imaginé par Rudy Burbant, Impact documente les séquelles des violences policières sur le corps et la vie des victimes. Une mise en scène sobre pour une enquête glaçante. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Des portraits aux tonalités paisibles, une collection d’objets semblant sortis d’un catalogue : la série Impact de Rudy Burbant surprend. Et puis, à ces photographies douces et cliniques s’ajoutent les textes, les enregistrements sonores et, progressivement l’histoire se déroule – d’une violence glaçante, implacable. Le photographe nantais de 38 ans vit de projets éditoriaux depuis treize ans, et développe en parallèle une œuvre personnelle. « Je privilégie une approche lente, contemplative, patiente et tranquille. Avec ce souhait de sortir du rythme et des images des commandes, qui laissent peu de place à l’authenticité », précise-t-il.
Dès la naissance du mouvement des Gilets jaunes, l’auteur ressent le besoin de creuser ce sujet, de documenter les horreurs, les traumas et les séquelles des violences policières lors des rassemblements. « La vidéo d’Antoine – manifestant pour le climat à Bordeaux qui sortait d’un nuage de gaz lacrymogène et dont la main avait été pulvérisée par l’explosion d’une [grenade] GLI-F4 – m’avait horrifié. Des images de guerre, des blessures et des mutilations, en 2018, en France… », se souvient-il. Naît alors l’idée d’une campagne de collages sur les murs des villes avec des photographies sobres, esthétiques « qui attirent le regard par leur douceur, tout en étant éloquentes ». Mais après quelques recherches, Rudy Burbant constate « [s]on ignorance sur l’étendue des armes utilisées et sur l’ampleur des dégâts qu’elles peuvent causer ». Alors que chaque samedi, de nouveaux manifestants sont mutilés, le photographe décide de donner la parole à ces blessés qui, aux yeux de l’État, sont responsables des lésions dont ils souffrent.
La prothèse myoélectrique sur mesure d’Antoine, qui avait 26 ans lorsque sa main droite a été pulvérisée par une grenade GLI-F4
Une écoute attentive
Casti a 21 ans lorsqu’il perd son œil droit suite à un tir de Flash-ball, à Montpellier en 2012. Il doit se battre pour obtenir gain de cause six ans plus tard. Lors de sa première manifestation avec les Gilets jaunes, en décembre 2018, Vanessa est touchée par un tir de LBD qui lui brise les os de l’arcade sourcilière et de l’orbite, provoquant une hémorragie cérébrale. Une blessure dont les séquelles se développent encore aujourd’hui. Jeremy, passionné de free party, a vécu une soirée cauchemardesque lors de la Fête de la musique de Nantes, en juin 2019. Aveuglé par des gaz lacrymogènes, il chute dans la Loire et lutte pour survivre, accroché à une amarre descendant du quai. Un supplice d’une demi-heure jusqu’à l’arrivée des secours. Ce sont en tout dix victimes avec lesquelles s’est entretenu Rudy Burbant. Des histoires, des vies différentes, mais tous ont été blessés alors qu’ils se trouvaient sur un lieu de tension. « J’ai voulu saisir leurs récits, leur donner la parole, comprendre et ressentir ce qui se jouait pour eux. Prendre le temps d’une écoute attentive. Rendre visible. Incarner », déclare le photographe, qui a recueilli ces témoignages par l’intermédiaire du collectif Mutilés pour l’exemple.
Lola a 19 ans quand elle manifeste contre la venue du G7 à Biarritz, en décembre 2018, elle y reçoit un tir de LBD 40 en pleine mâchoire.
Cicatrices cachées
L’auteur a parcouru la France pour aller à la rencontre de chacun des témoins, passer de longs moments avec eux, afin de restituer leur récit le plus fidèlement possible. « Cette approche les a touchés, même si cela a été éprouvant pour certains. Le deuil, pour une part d’eux, était fait, mais pour d’autres, même après de longs mois, ce n’était pas le cas. Raconter les confrontait de nouveau à ce qu’ils n’acceptent pas d’avoir perdu », explique-t-il. Parmi eux, Yann, avec onze dents de moins suite à des coups de matraque en plein visage. « Il n’a toujours pas pu les remplacer par des implants, un an et demi après l’impact, car sa mutuelle ne prend pas en charge les soins médicaux liés aux manifestations. Le jour de notre rencontre, il portait une prothèse censée durer quelques semaines qu’il utilisait depuis quatre mois, il devait la recoller toutes les dix minutes », se désole Rudy Burbant. Avec une extrême sensibilité, ce dernier a mis en images ces souffrances. Des portraits touchants, révélant le courage, la dignité et les cicatrices – visibles et cachées.
Photographiées de manière clinique, les armes responsables des amputations prolongent son travail d’une manière glaçante. À ses clichés s’ajoutent les témoignages écrits et sonores, qui invitent à l’immersion: une plongée dans un monde d’incompréhensions et de frustrations. « Ce sont trois moyens extrêmement forts de rentrer dans les récits. Ces approches peuvent créer des sensations très différentes », précise l’auteur. Avec une intimité inédite, Rudy Burbant révèle la violence inouie des forces de l’ordre. Imaginé comme le contrepied des reportages au cœur de l’action, là où le tumulte et la confusion règnent, Impact rend compte de la brutalité avec douceur. Pour mettre en lumière ce qui reste, ce qui s’attache aux corps blessés, ce qui prend possession des êtres, jusqu’à ce que leurs vies ne tournent plus qu’autour de ce traumatisme. Une collection de témoignages bouleversants, dénonçant avec délicatesse les déchirements physiques et psychologiques liés à ces violences policières.
Découvrez les différentes témoignages sur le site du photographe.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #44, en kiosque et disponible ici.
Gwendal est Gilet jaune de la première heure. Un fragment ou palet de grenade de désencerclement est venu frapper son œil gauche, qu’il perd.
à g. Jérémy, tombé dans la Loire, à d. Joan a perdu la vue à l’œil droit suite à un tir de Flashball
La Loire est connue pour ses eaux troubles et ses courants qui provoquent de dangereux tourbillons.
Vanessa, victime d’un tir de LBD qui lui brise les os de l’arcade, de l’orbite et provoque une hémorragie cérébrale.
à g. grenade GLI-F4 à d. grenades lacrymogènes MP7
Casti a perdu son œil droit. Il a du mal à porter son œil de verre, tant pour la sensation physique que pour le regard figé qu’il renvoie.
© Rudy Burbant