« Bubble Chamber » : disséquer les traces de notre histoire

24 mai 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Bubble Chamber » : disséquer les traces de notre histoire

Inspiré par une invention scientifique rendant visibles des microparticules indiscernables à l’œil nu, le photographe Alvaro Deprit fait de Bubble Chamber une série métaphorique à travers laquelle il exprime son désarroi face à l’état du monde.

C’est un regard sensible, porté par la douceur des palettes de couleurs et l’histoire millénaire du monde qu’Alvaro Deprit pose sur son environnement. Après avoir capturé l’Andalousie – la terre de ses origines, qui avait généré en lui une source inépuisable de fantasme – le photographe s’attache, avec Bubble Chamber, à explorer le processus même de création. À se tourner vers son « moi » intérieur. Conçue en 1952 par le physicien américain Donald A. Glaser, la chambre à bulles était un espace fermé contenant de l’hydrogène liquide, maintenu à une température très haute. Les particules présentes au sein du milieu se matérialisaient alors par des bulles, rendant visibles ces éléments habituellement invisibles pour l’être humain. Véritable détecteur, l’invention laissait – dans sa nature scientifique première – des empreintes, des schémas à la beauté cosmique, presque surnaturelle, évoquant de manière évidente le domaine artistique. « En devenant perceptibles, les particules pouvaient être photographiées. Les images de Bubble Chamber forment également une collection de traces, d’images figeant un processus créatif, le flux des narrations potentielles qui se sont arrêtées soudainement à cause d’un événement particulier. J’ai ainsi endossé le rôle d’une caisse enregistreuse, disséquant les restes de quelque chose en cours », explique l’artiste.

© Alvaro Deprit© Alvaro Deprit

Un cri silencieux

Pour parvenir à mettre en lumière l’insaisissable, Alvaro Deprit a couplé deux projets, réalisés en parallèle. Le premier prend place dans une école d’art, où l’auteur a pris en photo différents éléments : « là-bas, la création des œuvres et développement de l’identité des élèves se déroulent de manière simultanée », précise-t-il. Dans ces lieux, il découvre également des sculptures couvertes de plastique – un matériau utilisé pour conserver l’humidité durant leur construction. « J’étais attiré par la magie de l’attente, la tension de l’anticipation », complète l’artiste. C’est durant cette même période qu’il se met à scanner d’anciennes pellicules, prenant depuis des années la poussière dans le sous-sol de sa maison. Des tirages abstraits dont les défauts, les imperfections font étrangement écho aux recherches de Donald A. Glaser. Autant d’éléments unifiés par des nuances pastel, verdâtres, évoquant un tout organique, naturel.

« Mon goût pour les compositions et les couleurs persistent à travers toute mon œuvre. Je favorise les images directes, dont la simplicité convoque une aura mystérieuse, et une certaine absurdité. Cette teinte de vert qui accompagne chaque cliché possède plusieurs significations – elle est à la fois relaxante et dérangeante », ajoute Alvaro Deprit. À court de mots face aux catastrophes sanitaires, environnementales et sociopolitiques qui dévorent notre monde, le photographe fait de Bubble Chamber une métaphore de notre déroutement. Étranges, conceptuelles, les images nous bloquent en pleine action, comme pour nous priver de nos sens au cœur d’un mauvais rêve. Comme pour nous avertir que les interruptions, les fragments qui éclatent sont finalement les éléments les plus importants d’un récit. À l’instar de la chambre à bulles, l’auteur fait de ses images des loupes sur mesures, nous invitant à reconsidérer notre vision, à percevoir l’insaisissable. « Ces photographies mettent à métaboliser le cours des événements à la manière d’un cri silencieux. Elles illustrent à merveille ma propre anatomie de la peur », conclut-il.

© Alvaro Deprit© Alvaro Deprit

 

© Alvaro Deprit© Alvaro Deprit

 

© Alvaro Deprit© Alvaro Deprit

 

© Alvaro Deprit© Alvaro Deprit

 

© Alvaro Deprit© Alvaro Deprit

 

© Alvaro Deprit© Alvaro Deprit

© Alvaro Deprit

Explorez
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
© Madeleine de Sinéty
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
L’exposition Madeleine de Sinéty. Une vie, présentée au Château de Tours jusqu'au 17 mai 2026, puis au Jeu de Paume du 12 juin au 27...
15 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
© Sarah van Rij
À la MEP, les échos de vie urbaine de Sarah van Rij
Jusqu’au 25 janvier 2026, Sarah van Rij investit le Studio de la Maison européenne de la photographie et présente Atlas of Echoes....
12 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
© Bastien Bilheux
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
Bastien Bilheux et Thao-Ly, nos coups de cœur de la semaine, vous plongent dans deux récits différents qui ont en commun un aspect...
08 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Martin Parr : des photographes de Bristol lui rendent hommage
© Fabrice Laroche
Martin Parr : des photographes de Bristol lui rendent hommage
Consciemment ou non, des photographes du monde entier travaillent sous l’influence de Martin Parr. Mais pour la communauté photographique...
16 décembre 2025   •  
Écrit par Thomas Andrei
La sélection Instagram #537 : bandes de copines
© Natural Johnson / Instagram
La sélection Instagram #537 : bandes de copines
Dans notre sélection Instagram de la semaine, les artistes célèbrent l’amitié féminine et la sororité. Sur leurs photographies, des...
16 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
© Madeleine de Sinéty
La rétrospective de Madeleine de Sinéty, entre France et États-Unis
L’exposition Madeleine de Sinéty. Une vie, présentée au Château de Tours jusqu'au 17 mai 2026, puis au Jeu de Paume du 12 juin au 27...
15 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Les coups de cœur #569 : Axel Pimont et Pierre Leu
© Axel Pimont
Les coups de cœur #569 : Axel Pimont et Pierre Leu
Axel Pimont et Pierre Leu, nos coups de cœur de la semaine, pratiquent avec retenue la photographie de rue. Si les deux cherchent à...
15 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger