Fisheye: Qui es-tu ? Comment es-tu devenu photographe ?
Cédric Dubus
: Je suis originaire du Nord de la France. Je travaille entre Lille, Paris et Bruxelles. J’ai 39 ans et je pratique la photo depuis l’âge de 17 ans. C’est une passion dévorante et je ne me vois pas faire autre chose. La photographie s’est imposée à moi au travers de ma passion pour le skate, que j’ai pratiqué pendant 10 ans. J’agrafais les posters et les photos de skateurs américains sur les murs de ma chambre. Ils étaient mes héros ! Ma chambre était un temple dédié au à ce sport, j’avais 14 ans. Ma passion pour la photographie vient de cette imagerie, de ces décors américains qui me faisaient rêver. Tout ça m’a donné l’envie de pratiquer. Plus tard je suis devenu assistant de studio, puis photographe publicitaire. Finalement en 2009 je me suis mis à compte en tant que freelance. Aujourd’hui, je suis à la fois auteur et photographe à la commande.
Quelles sont tes influences ?
En premier lieu, je dirais la photographie sous toutes ses formes ! La photographie est un art bâtard puisque même ses pairs ne la reconnaissent pas dans leurs influences. Combien de photographes prétendent venir de la peinture, du cinéma ou de n’importe quel autre médium artistique qui ne soit pas de la photo ? En ce qui me concerne, je suis inspiré par des artistes comme Alec Soth, Christian Patterson, Vanessa Winship, Michael Subotsky, Mitch Epstein, Pieter Hugo… Le travail de Tommaso Tanini « H. said he loves us » m’a marqué. C’est une série remarquable, une véritable enquête [ndlr: pour laquelle il a reçu deux prix en 2014].
Quelle est l’histoire de ta série “Danube” ?
Je me suis inspiré de l’histoire d’Amédée, raconté par Claudio Magris dans Danube. Amédée croit qu’un robinet planté dans le sol et qui n’a jamais pu être fermé serait la source du Danube. Ce récit m’a inspiré. Je compare le flot ininterrompu de ce robinet au flot d’identités qui borde les rives du fleuve. Et je me pose la question de ce que serait l’Europe centrale si quelqu’un avait réussi à fermer ce robinet.
Comment as-tu pensé, réfléchi, cette série ? Comment s’est-elle construite ?
Depuis ma précédente série, Essence A [ndlr: publiée dans le n°4 de Fisheye], je cherchais une approche différente, un processus créatif inversé de mon habitus: accumuler les images photos puis trouver une ligne narrative pour les rapprocher. Donc avec Danube j’ai procédé différemment, j’ai d’abord trouvé mon sujet. Ensuite j’ai cherché un fil conducteur qui pouvait relier entre eux tous les pays que je voulais traverser. Suivre le Danube s’est très vite imposé comme le parcours idéal. Je ne m’en suis jamais éloigné de plus de 30km.
Quels sont les objectifs que tu t’imposes en photographie ? Et plus particulièrement ceux qui t’ont motivé pour “Danube” ?
Je cherche toujours à améliorer davantage l’ordre narratif de mon travail. Mes séries ne sont pas documentaires, elles se situent entre la fiction et la réalité. Mais dans tous les cas j’essaie de raconter une histoire. Avec cette série je travaille à l’élaboration d’un livre.
Sur ton site, dans ta présentation, tu as écrit: “ Suivre le Danube pour constater qu’au final, seules les questions comptent.” As-tu trouvé des réponses à ces questions ?
Non, je n’ai pas trouvé et peu importe. Henri Cartier-Bresson a dit: « La photographie est une réponse immédiate à une interrogation perpétuelle ». Je pense au contraire que la photographie est une interrogation perpétuelle à laquelle je ne cherche pas de réponse immédiate. Le photographe n’est pas quelqu’un qui résout les problèmes. C’est quelqu’un qui pose les questions. De plus, je suis profondément convaincu que la photographie n’apporte que très rarement des réponses et c’est d’ailleurs ce qui fait tout l’intérêt de cet art.
C’était comment, sur la route ? Dirais-tu que le voyage, c’est un peu la condition sine qua non à l’exercice de la photo ?
C’était long parfois. 6537Km ! Certains jours je n’ai même pas photographié. Mais je crois aussi que les moments de latence sont nécessaires, c’est souvent dans ce laps de temps qu’on fait les meilleures photos. La route est un prétexte, elle est un stimulus qui me met en condition pour photographier. Le voyage participe au processus créatif du photographe. Les images sont forcément plus exotiques à l’œil puisque ce sont des images qui ne sont pas issues du quotidien. Cependant je pense qu’il faut se méfier de l’émerveillement du voyage, dans l’exercice de la photo j’entends. Il faut bien penser le sujet, pour éviter la facilité du cliché de carte postale.
L’anecdote la plus marquante de ton voyage ?
Les flics de Bela Crkva, en Serbie ! Nous étions dans ce petit village, un soir, posés à la terrasse d’un restaurant. Ma femme et moi étions les seuls clients. Deux policiers sont arrivés et se sont installés autour d’une bière avec le patron du bar. Ma femme m’a suggéré de les photographier, je n’osais pas. Du coup c’est elle qui les a abordé et qui leur a demandé si on pouvait les photographier. Les flics se sont prêtés au jeu. Ma femme a posé avec eux, puis le patron a pris mon appareil et nous a photographié tous les quatre, et finalement, j’ai réussi à les photographier seuls. Un moment assez improbable !
Il me semble que ce qui fait l’unité de ta série, au-delà du thème, ce sont les lignes (une paire de jambes, un raie de lumière, l’horizon, un panneau penché…). C’est instinctif ?
Oui, effectivement il y a ces lignes… Mais je pense qu’elles ressortent lors du travail d’édition. Ma sélection finale crée une unité entre les images. Lorsque je photographie, je ne pense pas aux photos précédentes. Je n’aime pas me contraindre à la prise de vue, c’est lors de la sélection que j’affine mon propos.
Peux-tu nous dire quelques mots sur cette photo ?
Cette image a été réalisée à Dubova, en Roumanie, entre les défilés les plus étroits des Portes de Fer. Je cherchais comment photographier cet endroit: ma femme a fait un poirier dans l’eau, j’ai déclenché. Ce lieu est particulier. Sur la gauche, dans l’étendue d’eau, on peut apercevoir une croix. C’est là la frontière entre la Serbie et la Roumanie, en plein milieu du Danube.
Dans “Danube”, est-ce qu’il y a certaines de tes photos que tu trouves particulièrement significatives ? Est-ce qu’il y en a une qui soit ta favorite ?
Oui, il y a cette raie de lumière sous un pont. C’est la première photo que j’ai faite pendant le voyage.
J’aime aussi beaucoup l’image avec l’arc-en-ciel et la voiture, je me souviens m’être dit à ce moment-là: « Ça y est nous y sommes, le Danube est derrière ces montagnes ! ».
Et puis la photo du gamin au t-shirt rouge sur les rives du lac Parches [ndlr: voir plus haut], un des nombreux lacs que compte le delta du Danube. C’était un moment intense, nous étions fatigués par les bivouacs et les semaines passées sur la route… Le coucher de soleil nous a ému. C’était presque la fin du voyage.