Avec sa série (Tsy) Possible, Charlotte Yonga sonde les liens d’amour et de filiation dans la société malgache. Elle expose les dualités auxquelles est confrontée une jeunesse attachée à ses traditions, mais désireuse de plus de liberté dans les relations intimes.
Une femme enlacée par un homme, dos à nous, jette un coup d’œil aux spectateur·ices. Cherche-t-elle à se défaire d’une relation toxique ? Ou peut-être se vit-elle un amour interdit ? L’interprétation est laissée libre. Mais l’intuition nous guide vers la thématique abordée dans cette série (Tsy) Possible, signée de la photographe franco-camerounaise Charlotte Yonga : les relations intimes. Depuis une résidence artistique au Sénégal où le thème de l’amour était imposé, le sujet revient régulièrement dans l’œuvre de l’artiste. « Comment peut-on parler de l’amour ? s’interroge-t-elle. Je trouvais ça un peu niais. Mais après réflexion, j’ai réalisé qu’il avait une importance qui n’était pas uniquement liée au couple. Il était question d’amitié, de famille, mais aussi de non-amour. Car pour moi, l’amour n’est jamais complet. Même dans sa forme la plus riche, il est toujours un peu faillible. J’avais envie de traduire ça. » Les étreintes captées par le regard de Charlotte Yonga sont teintées d’une douce mélancolie. Elles reflètent le contexte culturel dans lequel elles s’inscrivent. « Parce qu’il n’y a pas les mêmes contingences pour s’aimer », précise la photographe.
Fleur bleue et amours interdites
En 2024, Charlotte Yonga est en résidence à la Fondation H à Antananarivo, sur l’île de Madagascar. Au contact de la population, elle découvre un système de caste profondément ancré qui rend de nombreuses unions impossibles. À travers son objectif, elle interroge alors les dynamiques affectives. « Il y a une forte pression de la famille sur les mariages. Si une famille n’approuve pas une relation entre deux personnes, ces derniers peuvent se faire refuser l’entrée dans le tombeau familial. C’est l’ultime punition », raconte l’artiste. Entre les non-dits et le déferlement de romantisme, Charlotte Yonga compose (Tsy) Possible, une série qui sonde « les dilemmes sociaux, culturels et amoureux que traverse une partie de la société malgache ». Le titre fait référence à une chanson d’amour, « un tube national », qui signifie « (im)possible » – « tsy » indiquant la négation. « Les Malgaches sont très fleur bleue, très romantiques au premier sens du terme », explique-t-elle. Ses portraits révèlent des couples, des ami·es, des personnes d’un même foyer, mais jamais on ne sait réellement quel est le lien qui les unit. S’inspirant de la musique, des séries télévisées et des livres, la photographe brouille la frontière entre la réalité et la fiction : « Sur mes images, il y a de vrais couples, mais aussi de faux couples », avoue Charlotte Yonga. Les regards profonds des protagonistes traduisent le tiraillement entre les traditions et le désir de liberté et d’évasion, ce que l’artiste appelle « les choix irrésolus de la Grande Île ». En face des portraits, elle met en dialogue des photographies de paysages luxuriants, symbole de respiration, de contemplation et d’amour de soi. « Car pour que la nature tourne, il doit bien y avoir de l’amour à l’intérieur, de manière cellulaire », conclut-elle.