Fasciné par l’humain et sa complexité, le photographe Ahmad Naser Eldein s’est intéressé, dans Alone and together, à notre rapport à l’autre en plein confinement. Une série conceptuelle interrogeant la nature de nos relations, privées de contact physique.
C’est à travers le documentaire, l’argentique et les tirages en chambre noire qu’Ahmad Naser Eldein, artiste palestinien installé à Montréal, découvre le 8e art. Une initiation presque organique, qui développe son intérêt pour les différentes techniques photographiques. « Ce n’est que des années plus tard que je me suis tourné vers le numérique, et que je me suis plongé dans la photographie conceptuelle et fine art », précise-t-il. Depuis, l’auteur s’attache à éduquer par l’image, en mêlant images digitales, analogues et vidéos. « Avec une approche minimaliste, j’essaie d’exprimer ma propre vision du réel, et d’explorer la fine barrière entre le documentaire et l’imaginaire », précise-t-il.
C’est en noir et blanc – un monochrome qui brouille, selon lui, davantage les frontières entre le vrai et le faux – que l’auteur construit Alone and together. Une série de portraits imaginée en plein confinement. « J’essaie de capturer les détails du corps humain qui révèlent des émotions, des états d’esprit », précise-t-il. Inspiré par ses propres expériences, il révèle, avec délicatesse « les personnes marginalisées, leur singularité et leurs identités complexes ». Dans son travail, les modèles, toujours anonymes, deviennent des allégories, représentant un mal commun : l’isolement en période de pandémie.
Réimaginer ce que symbolise la vie
« La dimension physique, qui était autrefois synonyme de sécurité, a évolué vers une toute nouvelle dynamique : chaque autre humain représente désormais un danger potentiel. Pour la première fois de notre vie, plus nous sommes éloignés les uns des autres, plus nous nous sentons rassurés. Notre relation au corps humain et à l’autre a radicalement changé, et l’impact de ce changement peut être clairement observé au quotidien. Si nous restons assoiffés de connexion, nous sommes obligés de construire des barrières physiques et des murs imaginaires destinés à nous protéger »,
raconte Ahmad Naser Eldein.
Comment, alors, créer du lien à l’autre ? Pouvons-nous forger des connexions, construire des relations, privés du contact, du toucher ? En s’attardant sur le physique, le photographe tente de figer l’énergie qui émane des corps. Une énergie qui vibre et se diffuse, en dépit de la distance. « Je veux que le regardeur voie au-delà de la peau, je veux réimaginer ce qui symbolise la vie », poursuit-il. Nus, ses sujets se transforment en entité, évoquant les questionnements qui ponctuent le quotidien du photographe : l’importance du rapport à l’autre, la place du physique dans nos relations, ou encore notre besoin de soutien. Repliés sur eux-mêmes, échoués dans un paysage monotone, les corps semblent vouloir braver l’ennui, la solitude, percer cette bulle d’isolement qui étouffe, petit à petit, nos désirs de liberté. En représentant ainsi cette nouvelle manière de vivre, Ahmad Naser Eldein met nos doutes et nos peines en images, tout en « rappelant au regardeur les différentes strates de la beauté humaine, et son caractère unique ».
© Ahmad Naser Eldein