Complaintes arméniennes

24 septembre 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Complaintes arméniennes

En trois ans, le photographe Patrick Rollier a voyagé huit fois en Arménie pour capturer un territoire meurtri. Il signe avec Arménie, année zéro, un ouvrage où la mélancolie et l’empathie dominent.

« Avant tout cela, comme certainement beaucoup de Français, l’Arménie m’évoquait le génocide et Charles Aznavour »

, confie Patrick Rollier. Initiée lors d’un dimanche à la campagne autour d’un déjeuner familial, Arménie, année zéro prend rapidement forme dans l’esprit du photographe de 62 ans, et se transforme en un projet ambitieux – le portrait d’un pays bouleversé par une suite de tragédies.

Inspiré par l’œuvre à la fois documentaire et sensible de Claudine Doury, Patrick Rollier a réalisé huit voyages en Arménie, entre 2015 et 2018. Au cours de ses six mois entiers passés sur le territoire, il se fait anthropologue, va à la rencontre des habitants, partage leurs souvenirs, capture leurs peines et leur chagrin. « Ma façon de travailler repose sur l’observation participante, un temps long, le partage, des entretiens formels et informels, l’empathie… » précise le photographe. Une enquête minutieuse, guidée par Hermineh, son interprète. « Elle s’est révélée être bien plus qu’une traductrice. Elle s’est d’emblée identifiée à ce projet évoquant l’histoire de sa génération », ajoute-t-il.

© Patrick Rollier

Ouvrir les cœurs

Car Hermineh est née le 1er décembre 1988 à Gumri, 6 jours avant le tremblement de terre qui a détruit une grande partie de la ville – l’une des catastrophes qui marqueront cette année maudite. « 1988 a également été témoin du début de la guerre avec l’Azerbaïdjan, autour du Haut-Karabakh, et des prémices de la chute imminente de l’Union soviétique », poursuit l’auteur. Comment représenter cet acharnement du sort ? Quelles sont les séquelles de tels rebondissements ? Paysages gris, visages marqués, regards tristes… Les images de Patrick Rollier donnent à voir un peuple meurtri, avançant malgré les obstacles. Une galerie de portraits révélant des personnes qui ont l’habitude d’être effacées, oubliées, dans le tumulte du monde.

« Mes modèles étaient souvent étonnés, puis fiers qu’un étranger sans lien avec l’Arménie vienne simplement écouter leurs histoires de vie. Leurs cœurs se sont profondément ouverts, car il y a peu de conséquences à se confier à un étranger de passage », précise l’artiste. Sans texte pour les compléter, les clichés sont parlants, poignants. Ils illustrent le poids lourd de l’histoire et ses cicatrices indélébiles. La lassitude, l’incertitude, et l’espoir, qui parvient, parfois à franchir l’imperméable tristesse. Au début et à la fin de l’ouvrage, placés de part et d’autre des images, comme pour les enlacer, des témoignages d’Arméniens s’inscrivent sur fonds verts. Des récits touchants, sublimés par l’impression monochrome en argent métallique. « Il s’agit d’une création des graphistes Line Célo et Clémence Michon. Ces cahiers font résonner ces paroles fortes et émouvantes », précise Patrick Rollier. Une touche graphique érigeant cet ouvrage au rang de poésie visuelle.

 

Arménie, année zéro, Éditions d’une rive à l’autre, 38 €, 104 p.

© Patrick Rollier

© Patrick Rollier

© Patrick Rollier

© Patrick Rollier

© Patrick Rollier

© Patrick Rollier

Explorez
Au Musée de la Femme, la photographie déploie son langage universel
© Camelia Shahat
Au Musée de la Femme, la photographie déploie son langage universel
Jusqu'au 31 octobre 2024, le Musée de la Femme de Marrakech accueille Photographie : le langage universel, une exposition imaginée avec...
02 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Focus #72 : Mohamed Bourouissa esquisse les lignes de force d’une révolte
05:07
© Fisheye Magazine
Focus #72 : Mohamed Bourouissa esquisse les lignes de force d’une révolte
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, et en l’honneur de Signal, sa rétrospective, accueillie jusqu’au 30 juin 2024 au Palais...
01 mai 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
XXH 15 ans questionne la société de l’excès
© Andres Serrano
XXH 15 ans questionne la société de l’excès
Jusqu’au 29 juin 2024, la Fondation Francès célèbre ses 15 ans à travers l’exposition XXH 15 ans - Temps 1. Par les œuvres des artistes...
01 mai 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
En plus de la douleur et des saignements, ces “spirales“ sont également à l’origine de graves infections qui ont rendu leurs victimes définitivement stériles. © Juliette Pavy
3 questions à Juliette Pavy, photographe de l’année SWPA 2024
À travers son projet sur la campagne de stérilisation forcée au Groenland entre 1966 et 1975, la photographe française Juliette...
29 avril 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ces séries de photographies réalisées au flash
© Nicolas Hrycaj
Ces séries de photographies réalisées au flash
En ce milieu de printemps, à mesure que les nuits s’écourtent, les flashs des appareils photo se multiplient pour immortaliser la douceur...
02 mai 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Au Musée de la Femme, la photographie déploie son langage universel
© Camelia Shahat
Au Musée de la Femme, la photographie déploie son langage universel
Jusqu'au 31 octobre 2024, le Musée de la Femme de Marrakech accueille Photographie : le langage universel, une exposition imaginée avec...
02 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Flower Rock : Ana Núñez Rodriguez verse des larmes d’émeraude
© Ana Núñez Rodríguez
Flower Rock : Ana Núñez Rodriguez verse des larmes d’émeraude
Aujourd’hui encore, l’extraction de cette pierre charrie de nombreuses croyances et légendes. C’est ce qui a captivé Ana Núñez Rodríguez...
02 mai 2024   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Focus #72 : Mohamed Bourouissa esquisse les lignes de force d’une révolte
05:07
© Fisheye Magazine
Focus #72 : Mohamed Bourouissa esquisse les lignes de force d’une révolte
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Ce mois-ci, et en l’honneur de Signal, sa rétrospective, accueillie jusqu’au 30 juin 2024 au Palais...
01 mai 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine