Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de transformation. La première s’attache à représenter celles et ceux mis·es en marge de la société, tandis que la seconde cherche à saisir l’insaisissable, l’invisible et la métamorphose, à travers une approche documentaire.
Marina Viguier
À ses modèles, Marina Viguier dédie ces mots de René Char : « À te regarder, ils s’habitueront ». Ainsi pourrait-on résumer l’intention de l’artiste derrière son travail photographique. En effet, la jeune femme franco-finlandaise s’attache à représenter celles et ceux « que l’on ne veut pas voir, que certain·es s’acharnent à invisibiliser », en l’occurrence les personnes queers, trans, les drags ou encore les club-kids.
Naviguant depuis une dizaine d’années dans les milieux militants et associatifs tels que Solidarité Sida/Solidays, Marina Viguier présente une démarche profondément engagée : « La photographie est pour moi un moyen d’explorer les questions de genre, de représentation, d’identités en marge. C’est un espace où l’intime devient politique, et où le corps échappe aux assignations », explique-t-elle. Fréquentant les cabarets, les lieux alternatifs et les univers post-punk, la plasticienne s’inspire de ces « espaces de résistance, d’expression débridée et de créativité politique », où se crie la liberté. Celle-ci lui permet d’affirmer avec aplomb son propre regard, qui se révèle d’une grande délicatesse et bienveillance. En atteste sa série sur toile de Jouy, « motif très classique et bourgeois des scènes pastorales idéalisées », dans laquelle elle fait poser devant le tissu traditionnel des personnes « hors norme », non-conventionnelles. À cela s’ajoute la forte influence de la peinture chez la photographe, qui « tend vers une colorimétrie volontairement picturale » : transformant ses modèles en protagonistes de tableaux, elle rend leurs lettres de noblesse à ces derniers à travers un female gaze des plus sensibles.
Emma Tholot
« Sous le masque, derrière le voile, une vérité paradoxale émerge : nous ne sommes jamais autant nous-mêmes que dans la métamorphose », soutient Emma Tholot. Plasticienne, photographe et vidéaste installée à Marseille, la jeune femme est fascinée par le domaine du spectacle et du rituel, mais aussi par « la tension entre présence et absence, entre visible et invisible ». Ainsi se penche-t-elle sur des motifs tels que les rideaux, les draps et les voilages : « autant d’éléments qui évoquent le seuil, qui dissimulent ou annoncent ce qui est sur le point d’être révélé ». Ces derniers sont toujours chez elle reliés à un contexte bien déterminé, à une culture et à un territoire précis. « Mon approche est avant tout documentaire : je puise dans le réel – principalement en Europe méridionale – des fragments de vie, de lieux, de décors, de costumes et de fêtes », développe la plasticienne.
Dans sa série Piccole Passioni, c’est au sud de l’Italie qu’elle s’intéresse, et plus particulièrement à la relation entre le fait votif (offrande en remerciement d’une grâce obtenue) et le spectacle vivant. « À travers [ce projet], il s’agit de questionner notre rapport contemporain à la croyance, à la superstition, aux peurs collectives et individuelles, mais aussi à la performance de soi dans une époque marquée par le spectacle », explique Emma Tholot. Proposant une extension plastique de son travail photographique, l’artiste matérialise ce qu’elle a capturé avec son appareil, des costumes aux éléments de décor. Et à travers ces installations, elle « rejoue les rituels, les interroge et les déplace ».