De nombreux livres se sont penchés sur sa façon unique de révéler les failles et les fragilités de ceux qu’elle photographiait. Le cinéma américain, avec Nicole Kidman dans le rôle-titre, a essayé aussi de percer le mystère de cette jeune bourgeoise, épouse assez effacée d’un banal photographe commercial nommée Allan Arbus, qui va tout à coup libérer sa personnalité grâce à la photographie. À partir de 1956, elle brise les carcans de la bonne société pour venir se brûler aux contacts des artistes, marginaux, handicapés et autres éclopés de l’existence qui vont devenir ses compagnons de route. Elle transgresse les codes de la Street Photography « classique » en affirmant sa présence dans l’image, en agissant en portraitiste immergée et engagée et non plus en témoin objectif de ce grand théâtre baroque qu’est la rue new-yorkaise.
Un livre événement
La sortie récente du livre « Au commencement » est un événement. Il vient à point nommé pour nous dévoiler les premières images en noir et blanc personnelles de Diane Arbus prises entre 1956 et 1962. Elle utilise encore le format rectangulaire du 24×36 avec un Contax D, un Nikon S3 ou un Nikon F, jonglant entre les appareils télémétriques ou reflex et poussant la technique au maximum de ses possibilités pour révéler l’intimité de sa vision.
Superbement imprimé, ce livre (bien traduit en français) nous donne de nombreuses clefs pour voir comment une œuvre naît petit à petit et combien, en 1962, le choix du Rolleiflex bi-objectif et de son format carré 6×6 va être déterminant dans la constitution de son style. Bien sûr ce n’est pas l’appareil qui fait l’artiste, mais c’est en trouvant l’instrument idéal pour s’exprimer qu’elle va définitivement affirmer sa singularité. En effet, avec les seules photos rassemblées ici, Arbus n’aurait eu qu’un destin de « bonne photographe de rue », sans plus, elle serait restée dans l’ombre des Frank, Winogrand, Faurer, Evans, Friedlander ou Levitt.
En effet, « Au commencement » contient peu d’images marquantes, mais son apport est très important : il nous rappelle qu’un photographe doit d’abord faire ses gammes et s’inspirer des autres avant de tracer sa propre voie. Une voie qui chez Arbus va prendre des détours inouïs … « Au commencement » est donc un livre essentiel pour tous les passionnés de photo ; on peut juste regretter que cette édition ait été contrôlée de bout en bout par les deux filles de Diane Arbus et qu’ainsi il lui manque ce soupçon d’originalité et d’irrévérence qui fait la saveur des œuvres de jeunesse. C’est, sans doute, la rançon du succès : après leur disparition tous les grands artistes finissent par être « embaumés » et cantonnés à leur mythe : le public, les musées et les ayants-droits préfèrent souvent la simplicité d’une légende à la complexité d’un destin…
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« Diane Arbus, au commencement »
Éditions de la Martinière, 235 x 280 mm
272 pages , 55 €