La transparence qui régit cette rubrique « livresque » me pousse à dire d’emblée que Duroy est, depuis une dizaine d’années, un de mes amis et « frère d’arme » en édition photographique. J’attendais donc ce nouvel opus avec impatience et mon avis est forcément traversé par cette proximité. Agé aujourd’hui de 69 ans, Duroy fut d’abord un photo-reporter « classique » avant d’opter pour une approche radicale et minimaliste de la photographie dite « documentaire ».
Détruisant bon nombre de ses images « illustratives », il s’est concentré sur quelques territoires rugueux (le nord de l’Angleterre, le Portugal, Berlin, l’état du Montana aux USA), des espaces marqués par les cicatrices de l’histoire contemporaine. Muni de son fidèle Leica argentique, il marche seul, déclenche rarement et sélectionne très peu d’images dans des livres « squelettiques », aussi silencieux qu’habités par les fantômes de la mémoire. Fortement influencé par la littérature, Duroy n’est plus vraiment concerné par la « pure » photographie. Et c’est avec ce recul qu’il faut se plonger dans « Unknown #2 » où il nous propose une relecture visuelle de son livre de 2007 « Unknown » consacré à l’immigration américaine.
Un livre “redessiné”
Normalement, une fois un livre achevé, l’œuvre ne bouge plus. Stéphane Duroy, lui, a voulu faire évoluer son projet éditorial : mettant la main sur une centaine d’exemplaires défraîchis, il a choisi de « redessiner » le livre à coup de marqueur, de colle et de ciseaux, ajoutant des collages, des coupures de presse, des photographies anonymes et des peintures abstraites à l’œuvre initiale. Ce travail plastique est ici rassemblé dans une belle édition en éventail (format Leporello pour les techniciens) de 64 pages. Ainsi naît un long panoramique en accordéon, imprimé recto-verso, aussi déconcertant qu’angoissant.
Bien sûr ce livre n’existe qu’en écho aux précédents et ceux qui découvriront ce travail avec lui seront sans doute désorientés. Il leur faudra alors se laisser porter par cette poésie de la mélancolie et ce désir absolu de réduire la photographie à son statut d’empreinte et de traces. Ainsi désossée, l’image imprimée peut de nouveau être « esthétisée » au moyen de puissantes interventions graphiques, toutes guidées par la hantise de l’effacement et de l’épuisement. L’absence de texte rend l’ouvrage un peu hermétique. Pour en savoir plus, on pourra acquérir chez le même éditeur, Filigranes, (grand complice de Duroy) un livre de poche contenant un texte analytique. Rédigé par Ezra Nahmad, critique et artiste, cet additif donne de nombreuses clefs pour entrer dans le monde superbement désenchanté de Stéphane Duroy.
En (sa)voir plus
« Unknown #2 – Tentative d ‘épuisement d’un livre »
Éd. Filigranes
63 photographies en couleur, 64 p.
40 €