Dans l’œil de Flora Nguyen : racisme et misogynie dans les cartes postales coloniales

28 août 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Dans l’œil de Flora Nguyen : racisme et misogynie dans les cartes postales coloniales
© Flora Nguyen
FloraNguyen
« Si la prostitution existait avant la colonisation, elle prend, avec elle, une nouvelle ampleur. Les femmes sont entièrement à la disposition des colonisateurs ou des soldats américains. »

Cette semaine, plongée dans l’œil de Flora Nguyen. À travers sa pratique pluridisciplinaire, l’artiste d’origine vietnamienne interroge l’héritage coloniale et la vision fantasmée de la « femme exotique ». Pour Fisheye, elle révèle la véritable signification d’une carte postale datant du 20e siècle.

« La carte postale, au 19e siècle, voir au 20e, était vue comme l’exact reflet de la réalité. Une carte envoyée du Tonkin en France, par exemple, était perçue comme la représentation de cette partie du monde très peu connue. Elles sont appréhendées sans regard critique ni recul, d’autant que la personne qui l’envoie y écrit au dos ou au-dessus…
L’une d’elles : « Jeune femme japonaise et soldat américain partageant du chocolat », de John Florea, 1946, prise pendant la guerre dans le Pacifique avec des bases américaines et l’organisation structurée de prostitution locale pour les GI. Si les deux sujets ressemblent à des vedettes de cinéma des années 1950, l’air heureux, au début de leur relation amoureuse, l’image est trompeuse. Il s’agit en fait d’une relation tarifée, la jeune femme étant une prostituée. On y voit donc un rapport dominée/dominant.
Ce sont bien les militaires qui forment le fond de la clientèle des maisons de prostitutions au Vietnam, et partout où ils se trouvent en Asie. Si la prostitution existait avant la colonisation, elle prend, avec elle, une nouvelle ampleur. Les femmes sont entièrement à la disposition des colonisateurs ou des soldats américains. Sur cette photographie donc, le soldat donne à manger du chocolat directement à la bouche de la prostituée. Cela m’a interrogée, car la première fois que je suis allée au Vietnam, j’avais apporté une boite de chocolats qui avaient piteusement fondus. Les gens à qui je les offrais les trouvaient mauvais car ils n’avaient pas pour habitude d’en manger ! Ici, le soldat donne en fait la becquée à cette femme, comme s’il la forçait à manger quelque chose qu’elle n’appréciait pas forcément. J’ai trouvé une certaine violence dans ce geste qui, à nous occidentaux, nous paraît tendre. Cette image interroge donc aussi la réception « distordue » que le·a spectateurice peut avoir d’une photographie censée capter le réel. »

À lire aussi
« J’ai appris que les guerres ne se terminent pas avec les batailles »
« J’ai appris que les guerres ne se terminent pas avec les batailles »
Actuellement exposée à la BnF, dans le cadre de la Bourse du talent, la série Like rain falling from the sky, réalisée par le photographe…
31 janvier 2020   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
Megapolis, Puteaux, 2025 © Aleksander Filippov
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
À l’occasion des 80 ans de la Libération, les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont lancé...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Carmela, série Carmela © Emma Tholot
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
© Julie Wintrebert, Crazy Beaches, 2024 / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, pour la rentrée, les pages de Fisheye se mettent au rythme du photojournalisme, des expériences...
07 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
06 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
© Sara Lepore / Instagram
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
La maison se fait à la fois abri du monde et porte vers le dehors, espace de l’intime et miroir de nos modes de vie. Les artistes de...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Lucie Donzelot
5 coups de cœur qui témoignent d'un quotidien
I **** New York © Ludwig Favre
5 coups de cœur qui témoignent d’un quotidien
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
15 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 8 septembre 2025 : amour et déplacements
Couldn't Care Less © Thomas Lélu et Lee Shulman
Les images de la semaine du 8 septembre 2025 : amour et déplacements
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, l’amour et les déplacements, quels qu’ils soient, ont traversé les pages de Fisheye. Ceux-ci se...
14 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Annissa Durar : une cueillette visuelle de senteurs
The Rose Harvest © Annissa Durar
Annissa Durar : une cueillette visuelle de senteurs
La photographe américano-libyenne Annissa Durar a documenté, avec beaucoup de douceur, la récolte des roses à Kelâat M’Gouna, au sud du...
13 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger